“J’ai fait un cauchemar…” Cet appel au secours vient souvent interrompre votre précieux sommeil ? Normal, répondent les psys : l’âge “Pomme d’Api”, c’est l’âge des cauchemars ! Courageusement, notre journaliste est partie à la rencontre des monstres et des méchants qui peuplent les nuits des enfants.
Une année, ma fille faisait des cauchemars à répétition. Tant et si bien qu’elle redoutait d’aller se coucher, appréhendant ces mauvais rêves qui viendraient la sortir de son sommeil dans la terreur. Elle parlait beaucoup des méchants, qui, à n’y pas manquer, escaladeraient le portail et atteindraient la fenêtre de sa chambre à l’aide d’un escabeau.
Pour la rassurer, nous avons aligné des arguments cartésiens : la porte est fermée à clé, les volets sont solides, la gendarmerie est à deux pas… Sans penser que, parlant ainsi, nous accréditions l’existence des fameux méchants ! Sans penser que les fameux méchants prenaient naissance en elle, et pas à l’extérieur ! “J’ai raison d’avoir peur”, devait se dire notre petite fille…
Des méchants ? Quels méchants ?
Mais alors, comment apporter son soutien à son enfant qui fait des cauchemars ? “Les parents sont mal placés, reconnaît Françoise Guérin, psychologue et auteur… de polars, car ce sont souvent eux les “méchants” des rêves de leurs enfants, cachés sous les traits de dinosaures, de monstres ou de sorcières.”
Quoi ? Nous, des méchants ? Quelle injustice, quelle ingratitude ! Rien que de très naturel et sain, pourtant, à l’âge où l’enfant commence à s’affirmer comme individu. Il cherche alors à s’opposer à ceux qui lui sont le plus chers, ses parents. Il éprouve pour eux des sentiments extrêmement forts, d’amour et de haine.
De notre côté, les parents se montrent de plus en plus exigeants à son égard, s’attendant à ce que leur enfant soit propre, qu’il patiente, qu’il range, qu’il dise bonjour… Cela produit des conflits internes et de l’inquiétude qui se manifestent sous la forme de cauchemars ou de terreurs nocturnes.
On comprend dès lors qu’interpréter à voix haute le récit que notre enfant vient de nous faire, ou insister pour qu’il raconte son cauchemar est maladroit : il sent confusément que son désir inconscient, qui se manifeste dans ce mauvais rêve, est inavouable !
De l’influence des images
On a parfois l’impression que le cauchemar est causé par un dessin animé, une histoire terrifiante, un film : ce qui a été lu, entendu ou vu, les jours précédents, vient peupler les nuits des enfants – comme celles des adultes, d’ailleurs. Mais ce n’est pas ce qui provoque le cauchemar : la peur est déjà là, à l’intérieur de l’enfant, et va se glisser dans le “matériel” mis à disposition par les histoires lues ou vues, voire dans le chien féroce du voisin qui aboie si fort.
S’il est préjudiciable de laisser un petit devant le journal télévisé ou des films inadaptés à son âge, il est inutile de supprimer ou d’édulcorer les histoires qui font peur. Laissez votre enfant choisir l’histoire du coucher, et tant pis s’il s’agit du Grand Méchant Loup ! Il est donc vain de croire que l’on peut repousser les mauvais rêves, qui sont des phénomènes psychiques sains.
Reste que l’on peut essayer d’aider l’enfant à mieux les vivre. Pour cela, il peut être salutaire de dire qu’on en fait parfois aussi et de parler de ses propres souvenirs d’enfance : “Moi aussi, je faisais des cauchemars qui m’ont fait très peur. Et puis je me suis rendu compte que ces peurs étaient dans ma tête.”
On peut aussi écouter avec attention le récit que l’enfant fait, lui proposer de le dessiner, ou de dessiner nous-mêmes le cauchemar sous sa dictée : “Elle était comment sa queue ? Comme ça ?” Et comme dire ses peurs n’est jamais facile, on peut les faire dire à des figurines : “Il a peur de quoi, ton doudou ?”
Et les “talismans” ?
“Au centre de loisirs, mes enfants ont confectionné un ‘piège à cauchemars’, relate Emmanuelle. Ils y croient beaucoup. Moi, je trouve qu’on leur fait une fausse promesse !” Pas faux. Que les enfants y croient, c’est une chose. Que l’adulte les incite à y croire en est une autre.
Pour contourner cet écueil, Françoise Guérin suggère plutôt de soutenir les propositions de l’enfant, en lui demandant : “À ton avis, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour faire reculer les cauchemars ?” Avantage : le parent prouve qu’il se préoccupe du problème de son enfant. Ensemble, ils y consacrent du temps, en parlent, et l’enfant est actif. À nous de prendre ses solutions au sérieux, sans s’en moquer.
Antoine, 5 ans, pose tous les soirs son arc et ses flèches sur sa table de chevet. Jeanne, 6 ans, dispose un rempart de Playmobil sur la rambarde de son lit. Une petite patiente de Françoise Guérin a tracé à la craie une ligne “anti-cauchemars” tout autour de son lit. Chez d’autres, le spray anti-moustiques fonctionne en toutes saisons pour chasser les monstres de la nuit. Pschitt, pschitt, disparaissez, vilains fantômes !
À quel moment faut-il s’inquiéter des cauchemars d’un enfant ?
Difficile de distinguer les cauchemars ordinaires, qui font partie du développement de tout enfant, de ceux qui trahissent un vrai problème. La psychologue Françoise Guérin conseille de s’adresser à un tiers, quand la fréquence et l’intensité des cauchemars sont importantes, quand l’enfant s’en plaint et en parle beaucoup, quand les cauchemars commencent à préoccuper toute la famille, occasionnant des discussions entre les parents. Se souvenant d’un ado venu la voir au bout d’une décennie de mauvaises nuits, elle ajoute : “Mieux vaut consulter pour pas grand-chose que laisser s’enkyster un problème.”
Terreurs nocturnes, cauchemars, quelle différence ?
La terreur nocturne se manifeste dans la première phase de sommeil (que ce soit la nuit ou durant la sieste). L’enfant semble éveillé, s’agite, s’assoit, peut avoir les yeux ouverts, crier ou prononcer des mots. Il repousse les bras qui veulent le prendre pour le rassurer. Il finit par s’apaiser seul et poursuit son sommeil. En fait, il ne s’est pas réveillé.
Face à ce type de manifestations, il n’y a pas grand-chose à faire, sauf à veiller à ce qu’il ne se fasse pas mal en bougeant dans son sommeil. Le lendemain, il n’en aura pas de souvenir.
Le cauchemar, lui, apparaît plus longtemps après l’endormissement et l’émotion qu’il provoque réveille l’enfant, qui aura la mémoire de ce qu’il a rêvé. Une fois rassuré, apaisé, il se rendort.