Pendant la période du confinement, les écrans sont devenus indispensables, pour travailler, garder le lien avec nos proches et… occuper nos enfants ! Cet été, la question de la place des écrans prend une dimension nouvelle. Comment doser notre consommation et celle de toute la famille, après cela ?
Entre culpabilité et envie de temps à soi
Bienheureux, nos parents ! Eux n’avaient à gérer que notre rapport à la télévision. Et voilà la nouvelle génération que nous sommes qui, dans sa façon d’éduquer, doit faire face non seulement à la télé (avec ses chaînes qui se sont multipliées), mais aussi à la tablette, l’ordinateur… Alors, forcément, comme tout pionnier, on se sent un peu perdus quant à la marche à suivre… Combien de temps d’écran ? À partir de quel âge ? Pour quoi faire ? Cet été, la question se pose peut-être avec encore plus d’acuité.
Solène, maman de deux garçons de 6 et 4 ans, résume bien le problème : « Mes parents étaient adeptes du zéro écran pendant les vacances. On partait dans des endroits sans télé. J’ai gardé cet idéal dans un coin de ma tête, mais, en même temps, un dessin animé sur la tablette, cela me permet de “gratter” trente minutes pour faire une sieste… » Bien sûr, nous fantasmons tous sur des grandes vacances version “Ricoré” : enfilade de pique-niques, d’excursions à la plage ou en forêt, d’activités manuelles partagées… Mais, avec la fatigue accumulée pendant l’année, nous aspirons à quelques pauses, avec les enfants occupés sans nous. Entre culpabilité et envie de temps à soi, difficile de trancher…
Un temps balisé
« Les parents ont besoin d’avoir des moments à eux, estime le psychiatre Serge Tisseron. Il suffit que le temps passé devant l’écran soit ensuite “compensé ” par une activité partagée ensemble. » À la demi-heure passée devant la tablette répondra donc une demi-heure de dessin, de jeux sur la plage ou de visite d’un musée. Et d’ailleurs, ce temps, quel doit-il être ?
Pour le spécialiste, “pas d’écran avant 3 ans, car cela nuirait au développement de l’enfant. Entre 3 et 6 ans, une demi-heure par jour, même vingt minutes sont suffisantes. Et la question n’est pas tellement de savoir quand on allume l’écran, mais plutôt quand on l’éteint”. Serge Tisseron préconise d’établir une tranche horaire fixe. “Comme pour les repas, l’écran se donne à heure fixe, explique-t-il. Pas plus qu’on ne grignote entre les repas, on ne grignote pas de l’écran au cours de la journée. ” Et, poursuit-il, “pas d’écran personnel avant 6 ans. On regarde sur les outils familiaux”.
Encore faut-il se mettre d’accord sur ce que nous proposons à nos enfants au cours de ces petites sessions estivales sur écran. Serge Tisseron suggère que l’enfant se constitue une DVDthèque dans laquelle il peut piocher.
Donner du sens aux écrans
Co-fondatrice de Rising Up, qui propose des formations et conseils sur le développement du langage, Nawal Abboub, docteure en neurosciences cognitives, souligne, de son côté, l’intérêt de la dimension parfois plus “immersive” des livres numériques, “qui peuvent être complémentaires des livres papier”, précise-t-elle. Selon la chercheuse, mieux vaut éviter pour les tout-petits “l’écran passif où l’enfant regarde seul”. Privilégions l’interaction et l’accompagnement pour les outils numériques, comme pour les livres ou tout autre objet !
“Comme pour n’importe quel jouet, explique Nawal Abboub, il est préférable que le petit soit encadré dans sa découverte.” Le soutien de l’adulte est important, voire indispensable dans certains contextes notamment numériques. Mais attention à ne pas faire de la pédagogie magistrale. Comprendre : téléguider de A à Z l’usage de l’écran.
“Depuis la naissance, et même avant, l’enfant est en train de développer et d’affiner sa capacité d’attention, rappelle la chercheuse. On peut donc le laisser en exploration et échanger avec lui sur ce qu’il voit, touche et manipule.”
“En fait, l’écran, c’est plus ce dont on parle que ce que l’on regarde”, analyse Serge Tisseron. Pour le médecin, une session sur écran devrait susciter les mêmes discussions qu’une sortie au cinéma : on parle ensuite ensemble de ce qu’on a vu, de ce qu’on a ressenti.
Côté parents, quelques devoirs de vacances…
L’été est aussi une période propice aux changements d’habitudes. Et si, dans le rapport aux écrans, les choses se jouaient aussi côté parents ? Comme le souligne Nawal Abboub, “le parent est, pour l’enfant, un modèle linguistique et culturel. La façon dont nous-mêmes gérons notre rapport aux écrans rejaillit sur les petits”. L’été pourrait être le moment idéal pour éduquer nos enfants… Mais aussi pour nous rééduquer face aux écrans ! Car comment dire à un enfant qu’il passe trop de temps sur une tablette quand nous-mêmes gardons toujours notre portable à portée de main ? C’est ce qu’on appelle la “technoférence” : tablettes, téléphones ou ordinateurs viennent perturber la relation qui nous lie à nos petits. “Ne mettez pas un smartphone entre un enfant et vous !”, implore Serge Tisseron.
Nawal Abboub lui emboîte le pas : “Les très jeunes sont sensibles au regard direct parce qu’il est un précieux indice pour l’aider à apprendre et à comprendre. Si vous lui parlez tout en regardant un écran, il n’aura pas votre regard et comprendra moins bien ce que vous allez lui dire.” En vacances, on peut donc y aller piano piano.
Emmanuel a ainsi profité de l’été pour faire le ménage dans les applis qui encombraient l’écran de son téléphone… et son cerveau. Le déclic lui est venu un jour à la plage : « C’est un peu comme si j’étais sorti de moi-même, raconte-t-il. Je me suis vu, allongé sur ma serviette, à pianoter sur mon téléphone avec mes enfants à côté qui m’appelaient : “T’as vu, Papa ? T’as vu ?”. Et moi de répondre distraitement, le nez toujours sur l’écran : “Oui, oui, c’est super…” Je n’avais pas envie d’être ce père-là. »
Carine, elle, a décidé de s’octroyer le même temps sur écran que celui qu’elle accorde à ses enfants. Ni plus, ni moins. Il convient aussi d’expliquer. “Laisser sonner deux fois le temps de demander à l’enfant si cela ne l’embête pas qu’on réponde, au lieu de se précipiter sur le téléphone en coupant la conversation brutalement, c’est cette petite différence qui va améliorer le bien-être de tout le monde”, suggère Nawal Abboub. Car il n’y a rien de plus désagréable pour l’enfant qu’une interruption subie et perturbatrice qui vient bloquer la conversation qu’il a avec son parent. Chacun peut donc avoir le droit à ses petites plages sur l’écran. Mais comme sur la vraie (plage), la baignade se doit d’être surveillée. Et partagée.
Du bon usage des écrans avant 6 ans
Fin 2019, le Haut Conseil de la Santé Publique a rendu un avis – pour lequel Serge Tisseron a été auditionné – sur le temps d’exposition aux écrans des enfants et des adolescents. Il ressort de cet avis que, avant 3 ans, l’usage des écrans est à proscrire “si les conditions d’une interaction parentale ne sont pas réunies”. Le HCSP rappelle que les écrans n’ont pas à se trouver dans la chambre d’un enfant ou d’un ado et qu’ils ne doivent pas être allumés au cours du repas familial. L’écran, estime le HSCP, doit être utilisé dans un but précis et dans un cadre régulé : il est conseillé aux parents de mettre en place un planning de l’utilisation des médias. Des principes importants à rappeler car, selon les études INCA3 et Esteban, les “3-6 ans” passeraient 1h40 par jour devant des écrans.
Mon enfant sur Insta… ou pas !
On les a tous vues ces photos postées par des copains sur Facebook ou sur Instagram, mettant en scène leur famille sur une plage, un chemin de randonnée, ou posant fièrement devant un monument à l’autre bout du monde. Partager des photos semble être devenu indispensable pour garder le lien avec nos proches. Mais aussi parfois, avec une communauté beaucoup plus large, que l’on ne connaît pas ou si peu. Qui nous like, ou nous partage dans sa story.
Or, l’enfant ne peut mesurer l’impact de l’exposition de sa vie sur les réseaux sociaux. À hauteur d’enfant, c’est même plutôt un jeu de prendre des photos rigolotes avec ses parents… Aussitôt prises, aussitôt envolées ailleurs, mais ça, il ne le sait pas… Et si notre enfant boude l’objectif ou râle à chaque selfie familial – si, si, même chez les tout-petits cela arrive, – n’insistons pas. Nous apprenons à nos enfants que leur corps leur appartient. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour leur image ?
En postant des photos de nos enfants sur les réseaux, que voulons-nous donner à voir de nous ? Cherchons-nous une sorte d’approbation ? La certitude, que oui, nous sommes une chouette famille ? Pourtant, c’est à nous et pas aux autres de bâtir notre famille, au-delà des normes – souvent fausses et culpabilisantes – largement relayées par les images “instagrammables”.
Voulons-nous vraiment participer à cette trompeuse “course au bonheur” ? Ou juste profiter d’un été sans trop s’exposer au soleil, et sur les réseaux…
Pour aller plus loin
- Retrouvez le programme 3 / 6 / 9 / 12 élaboré par Serge Tisseron sur l’introduction progressive et raisonnée des écrans dans la vie de l’enfant sur 3-6-9-12.org
- Des connaissances scientifiques et des conseils d’éveil au langage sur le site de Rising Up
- Plus d’infos sur l’usage du numérique chez les enfants et les adolescents sur netecoute.fr