Nos occupations d’adultes tiennent une bonne place dans nos paroles et dans notre vie familiale. Pourtant, nous ne prenons pas toujours le temps d’en discuter avec nos enfants. Au risque qu’ils s’en fassent une représentation… bien à eux ! Comment mettre des mots sur une réalité qui leur échappe… Les conseils du magazine Pomme d’Api.
Le travail a parfois bon dos
“Il faut que j’aille travailler !” C’est souvent par ces mots que nous justifions nos choix d’emploi du temps pour nos enfants : la cantine, le centre de loisirs, la nounou… Avouons-le, nous dégainons cet argument assez vite : il est pratique ! “Tu n’as pas envie d’aller à la maternelle aujourd’hui ? Ben oui, mais moi, je dois travailler.” Au risque de laisser entendre que “c’est pas moi, c’est mon travail !” Car il a parfois bon dos, le travail, surtout pour ceux qui culpabilisent à l’idée de se séparer de leurs enfants. “Heureusement que l’emploi du temps des parents échappe aux enfants ! s’exclame pourtant la psychologue Émilie Moreau-Cervera. Le parent doit avoir ses propres espaces d’épanouissement (amical, amoureux, professionnel…) en dehors de son enfant. Il est nécessaire que l’enfant l’intègre pour qu’il puisse, en s’identifiant à cet adulte, construire sa propre vie.”
À nous donc d’être vigilants et de ne pas présenter le “travail” comme une sorte d’instance toute-puissante qui happerait les parents. Pour la construction psychologique d’un enfant et pour sa vision de l’avenir et de la société, il vaut mieux lui expliquer que le travail que l’on exerce, on l’a souvent choisi, et qu’il est important pour nous. Mais choisir quelque chose ne signifie pas faire “tout ce que l’on veut”. Les enfants de l’âge Pomme d’Api imaginent pourtant que c’est ce qui les attend “quand ils seront grands”. Il est donc important d’expliquer que même les adultes composent avec la réalité et sont soumis à des règles, à des contraintes, des horaires.
Un besoin d’images concrètes sur le travail
L’enfant a besoin de se faire une représentation – même parcellaire et simplifiée – du travail de ses parents, pour que ce terme ne recouvre pas un mystère épais et angoissant. Heureux ceux qui ont un travail très concret : enseignant, médecin, artisan, journaliste même ! Heureux ceux qui fabriquent des choses qu’ils peuvent montrer à leurs enfants ! Tous les autres (la majorité) se heurtent à la difficulté d’expliquer des fonctions très abstraites, “je travaille dans un service d’administration, je gère le back-office de…”
Pour que nos récits soient parlants, surtout avec de jeunes enfants, autant faire des parallèles avec leurs propres vies. Ainsi les mérites respectifs des cantines des uns et des autres sont une bonne entrée en matière, tout autant que la description des collègues : “Pascal, il arrive toujours à moto, il a deux enfants…” Décrivez la pièce dans laquelle vous travaillez, et essayez de trouver quelques mots pour expliquer ce que vous faites : “Je suis devant un ordinateur, je passe du temps au téléphone, je circule en voiture pour rendre visite aux clients, j’ai des réunions…” On peut expliquer qu’on a un chef : “Toi, tu as un maître ou une maîtresse qui te dit ce que tu dois faire, moi, ma chef s’appelle Cécile”, ou qu’on n’en a pas : “Le directeur de l’école, il dirige ton école. À mon travail, c’est moi qui décide.” Si on en a la possibilité, organiser une visite familiale aura son petit succès.
Leur donner envie de grandir
Prenons aussi conscience que ce que nous disons de notre travail n’est pas toujours positif : “Pffff ! J’en ai ras le bol !”, “Aucune envie d’y retourner demain !”, “Mon patron, quel emmerdeur !” Qu’on le veuille ou non, l’image que se font les enfants de la vie d’adulte repose beaucoup sur ce que nous en laissons entrevoir. Et leur donne – ou non – envie de grandir. Insistons plutôt sur le fou rire partagé avec une collègue, sur tel projet réussi, sur ce qui nous plaît. Il ne s’agit pas là de taire les difficultés que l’on peut rencontrer dans notre vie professionnelle. De toute façon, un enfant détectera que son père ou sa mère a des soucis. Autant s’en ouvrir, sans s’appesantir : “Il y a parfois des tensions, au travail, comme toi, à la récré, quand tu te disputes avec d’autres. Mais on va discuter et je pense que ça s’arrangera.”
Que l’on traverse une période d’intense investissement professionnel qui nous accapare plus que d’habitude, ou – a fortiori – que l’on perde son emploi, il ne faut pas laisser l’enfant dans le silence. Comme le souligne Émilie Moreau-Cervera, “Ça fait partie de la vie d’un enfant qu’un parent traverse des phases difficiles.” Et un parent qui s’effondre ou qui passe soudain ses journées à la maison, est source d’une immense angoisse, car l’enfant ne lui trouve pas de sens. Il est donc important d’aborder la question avec lui : “Oui, je m’énerve beaucoup en ce moment parce que je suis inquiet : je n’ai plus de travail. Cela arrive, ce n’est pas de ma faute. Je vais rencontrer des gens pour m’aider à trouver un autre travail.” On lui permet ainsi, par la pensée, d’être un peu rassuré. Inévitablement, les discussions sur notre travail vont aussi nous amener au thème de l’argent. Si l’intérêt financier est réducteur et peu constructif pour un enfant, il n’en demeure pas moins central.
La question de l’argent
Émilie Moreau-Cervera conseille d’aborder la question par les choix que permet l’argent. Si on a trop peu, on peut avoir du mal à acheter ce dont on a besoin (un logement, la nourriture, l’électricité…). Si on en a un peu plus, on peut choisir l’endroit où l’on va vivre, acheter les choses dont on a besoin, et même parfois celles que l’on désire, sans en avoir vraiment besoin.
Pourquoi ne pas présenter les choses dans l’autre sens : parce qu’on a besoin de travailler pour gagner de l’argent, il est important de choisir un travail qui nous plaise. Et ça commence déjà à l’école : on y apprend des choses pour grandir, faire des choix, et pouvoir un jour s’occuper de soi tout seul. Certains parents font collection des désirs de métiers de leurs enfants au fil de l’âge. Ainsi, Solange a commencé par “ pompière ”, puis “ chevalière ”, ensuite elle a opté pour “ maman ”, “ chirurgien ” et enfin “ vétérinaire pour animaux en voie de disparition le matin ” et “ maîtresse l’après-midi ” ! Et si, devenus grands, ils ne font rien de tout cela, leurs rêves d’enfants et l’image du monde du travail qu’ils se seront forgée auront sans doute affûté leur volonté et consolidé leurs choix d’adultes.