À l’âge de l’école maternelle, les enfants posent beaucoup de questions. Celles qui portent sur la mort peuvent parfois nous désarmer et nous gêner. Comment répondre à leur curiosité naturelle ? Comment leur parler de quelque chose qui nous angoisse, peut-être, nous aussi ? La rédaction du magazine Pomme d’Api a pris conseil auprès de Claire Pinet, psychologue spécialisée dans le deuil et les soins palliatifs, pour nous y aider.
« Et toi, Maman, tu vas bientôt mourir ? »
La voix claire de Lise, 4 ans, a fait taire la discussion animée des adultes. Sa question a de quoi laisser sans voix, tant nous sommes tentés de mener notre vie tambour battant, en occultant le fait que cette vie a pour condition la mort. Pourtant, il ne faut pas reculer. Et répondre, le plus simplement possible, à la petite fille. Cette obligation de parole vaut pour toutes les questions qui surgissent spontanément et – a fortiori – pour celles qui sont suscitées par une expérience réelle de deuil. Éluder cette curiosité, la rabrouer parce qu’elle nous gêne, ou la minimiser parce que nous voulons “protéger” les enfants, “c’est toxique”, insiste Claire Pinet, pour qui le silence est un traumatisme supplémentaire : « La seule chose qui peut faire du mal à un enfant, c’est de ne pas lui parler ou de lui parler faux. » Car l’enfant imaginera toujours pire que la réalité et pourra par ailleurs déduire du silence des adultes que c’est lui le responsable de ce qui se passe.
Sans pour autant devancer leurs interrogations, il ne faut donc pas laisser échapper une occasion d’aborder ce sujet. On peut profiter d’une question, d’une observation (un insecte mort, un oisillon…), de l’irruption de l’actualité dans le quotidien (la radio entendue, le journal télévisé entrevu…), de la mort de personnages fictifs dans un jeu ou une BD. « La mort est omniprésente dans notre société, constate Claire Pinet, mais on n’en parle jamais. Cette condition humaine n’est pas formulée alors qu’elle devrait l’être. » Pour les êtres de parole que nous sommes, parler soulage. C’est le constat qu’a pu faire Myriam, professeure des écoles en CP, dont les élèves ont récemment préféré poursuivre leur discussion sur la mort au lieu d’aller en récréation : « Ils n’avaient pas vraiment de questions mais plus le besoin de raconter la mort, les morts… Un petit a conclu que c’était triste de parler de tout ça mais que ça faisait du bien de le faire parce qu’ils n’osaient pas toujours parler de la mort à leurs parents. » Les questions que posent les enfants évoluent avec l’âge et leur représentation de la mort s’acquiert au fil du temps. Nous avons choisi de nous arrêter sur cinq questions qui illustrent leurs représentations de la mort, à l’âge Pomme d’Api.
« Et les racines des arbres, ça gêne Papi, au cimetière ? »
« Que se passe-t-il entre la mort et le squelette ? », « Est-ce qu’on lui mettra d’autres habits quand ils seront fichus ? »… Les questions des plus jeunes nous troublent, tant elles sont concrètes et nous renvoient à une réalité qui nous est désagréable : ils s’intéressent au cycle de la vie, aux petites bêtes, à la putréfaction. « Les petits parlent très facilement de la mort, c’est comme une évidence pour eux : on peut être malade, on peut être mort », constate Claire Pinet, qui se souvient avoir observé des enfants jouer sur le lit de mort de leur grand-père peu après que celui-ci a été mis en bière. « Il ne faut pas les détourner de cette simplicité. » De cette différence d’appréhension naissent des malentendus : l’adulte peut y lire une absence d’émotion et de chagrin. Pourtant, cela ne veut pas dire que l’enfant ne vit pas un deuil. Il est primordial de lui permettre de s’exprimer en acceptant sa façon de le faire qui est conditionnée par la représentation qu’il a, à ce moment-là, de la mort.
« Quand est-ce qu’elle a fini d’être morte, Mamie ? »
Pour les plus petits, on meurt, mais on renaît après : les expressions “plus jamais” et “pour toujours” n’ont pas encore de sens pour eux, qui voient le temps comme un cycle. « Ils ne sont pas encore gagnés par la peur, explique Claire Pinet, car ils n’ont pas intégré le caractère définitif de la mort. » Cela ne se fera que bien plus tard, vers 9-10 ans. La compréhension intime du fait que l’on est soi-même mortel survient plus tardivement encore, à l’adolescence. Les expériences vécues par la famille comptent beaucoup. S’il y a eu des décès dans l’entourage de l’enfant, s’il a été confronté à la mort d’animaux, si ses parents en parlent sans gêne, il intègrera plus naturellement la finitude comme réalité de l’existence.
« C’est obligé de mourir ? »
Selon leur âge et leur vécu, certains enfants posent cette question sur le même ton que « Pourquoi le ciel est bleu ? », quand d’autres la prononcent avec une immense révolte. Car la réponse à cette interrogation existentielle se solde par le deuil de la toute-puissance dans laquelle vivent tous les petits enfants. « À quelle heure je vais mourir ? » s’énerve Julia, comme pour conserver au moins une certitude, même minime. Il faut donc expliquer et répéter : « On meurt parce que c’est prévu comme ça. Tout ce qui est vivant mourra un jour. Contre cela, on ne peut rien. » D’autres attitudes peuvent contribuer à l’acceptation progressive de ce principe de réalité. Ainsi lorsque l’enfant fait l’expérience qu’il ne peut pas être à deux endroits différents au même moment, qu’il ne peut pas tout avoir, il intègre la notion de limite.
Cependant, si l’on constate que l’enfant continue de croire que les morts vivront à nouveau, ce n’est pas nécessaire d’insister : « C’est le signe qu’il n’a pas encore la maturité pour comprendre, et ce n’est pas grave. » Certains vont beaucoup jouer à la mort avec leurs figurines ou dans leurs jeux de rôles, comme pour renouer avec leur toute-puissance et exorciser celle de la mort : quand je joue, c’est moi qui décide !
« Quand je serai grande, tu seras morte ? »
La première réaction d’un enfant face à la mort d’un proche, c’est la peur de l’abandon. Avant même le chagrin. Il est donc normal qu’il se questionne sur la mort de ses parents, ou fasse le souhait “qu’on meure tous ensemble”. Pour le parent questionné, quel choc ! Claire Pinet conseille de laisser entendre, dans notre réponse, que les générations cèdent la place aux plus jeunes, tout en prenant garde à ne pas gâcher “l’aujourd’hui de la vie” à la perspective de ce qui arrivera un jour. On peut donc dire, en substance : « Il y a des chances pour que je meure avant toi, et c’est ce que je souhaite. C’est toi alors qui pourra aider le monde et la société, par ton travail, par ce que tu feras. Mais pour l’instant, je suis bien en vie, et j’ai envie de faire encore beaucoup de choses avec toi. »
Cette question montre aussi que l’enfant a compris l’ordre des choses : normalement, les plus âgés meurent avant les plus jeunes. Lorsque l’inverse se produit, dans le cas du décès d’un nourrisson, d’un enfant, d’un jeune, l’enfant s’indigne, comme les adultes : « C’est pas juste ! Il ne devait pas mourir ! » Que dire, sinon avouer son désarroi ? « Je n’ai pas de réponse. Il est mort très jeune, et c’est le contraire de ce qui devrait se passer. Les choses ne se passent pas toujours comme on le prévoyait, et tout cela nous dépasse. »
« On va où, quand on est mort ? »
Voilà bien une question à laquelle personne ne peut répondre avec certitude. Autant le dire ! « Ce n’est pas parce qu’on ne sait pas qu’on ne doit pas parler », insiste Claire Pinet. Il faut donc avouer que sur ce qui se passe après la mort, personne ne sait exactement. On peut expliquer que les gens ont des croyances et des opinions différentes sur ce point, avant de donner son propre point de vue : « Moi, je pense que… Toi, petit à petit, tu te feras ta propre idée. » Hélène, interrogée par son fils de 4 ans sur “l’après”, se souvient lui avoir donné « une des pires réponses pour un enfant : je lui ai dit qu’à mon avis on n’allait nulle part. » Confirmation de Claire Pinet : « Dire qu’après la mort, il n’y a rien, c’est très angoissant. » Elle conseille aux non-croyants d’insister sur le fait que la mort n’est pas la fin de la relation, mais sa transformation, en disant par exemple : « Même quand on est séparé par la mort, on peut encore s’aimer très fort. Ta grand-mère reste ta grand-mère, même maintenant, et tout ce que vous avez vécu de beau et de grand continue d’exister. »
Que faire, que dire… si un proche meurt ?
Quand ça arrive “en vrai”, il faut en informer l’enfant, sans délai, et en utilisant des mots sans ambiguïté : “il est mort”, plutôt que “il est parti” ou “il nous a quittés”. Il importe aussi de “valider l’émotion de l’enfant”, même s’il ne dit rien, même s’il ne laisse rien transparaître, en mettant des mots : « Tu aimes beaucoup ton grand-père, tu es triste qu’il soit mort. Tu vois que les adultes sont tristes : ça donne du chagrin de se séparer de quelqu’un qu’on aime. » Les adultes n’ont pas à s’interdire de pleurer devant leurs enfants, même si ceux-ci en sont impressionnés : « Protéger l’enfant en retenant ses larmes, insiste Claire Pinet, c’est une aberration : chacun se mure dans un deuil qui ne s’exprime pas, qui ne se partage pas, donc ne se fait pas. »
Nous sommes nombreux à hésiter à laisser un enfant assister à des funérailles. Pourtant, la cérémonie, qui marque la séparation effective entre les vivants et les morts, joue un rôle essentiel dans l’entrée dans le deuil : elle permet de constater que la mort n’est pas abstraite, imaginaire. Y participer, c’est vivre une douleur constructive. Il est important que les enfants aient à agir pour accompagner ce départ : faire des dessins, choisir un objet… On peut aussi proposer (mais pas imposer) à l’enfant de voir le corps du défunt pour lui dire au revoir. Il faut prendre soin de décrire la scène au préalable : « Le corps d’un mort ne bouge pas, ne respire pas. Le visage est pâle et tranquille, il est froid… » La plupart du temps, les enfants demandent à aller voir le corps. On peut leur faire confiance : en leur parlant, en leur donnant la possibilité d’exprimer ce qu’ils ressentent (au lieu de croire qu’on le sait à leur place), on décèlera ce dont ils ont besoin pour traverser cette épreuve, et cela permettra d’adapter notre aide.
Des livres pour parler de la mort avec les enfants
Claire Pinet : « Avec les enfants, je conseille de lire des albums plutôt que des livres explicatifs. Tout ce qui passe par le ressenti, les images, les symboles… a davantage de portée. Les acquis que permet la métaphore sont bien plus subtils. Il y a les grands classiques, comme L’arbre sans fin de Claude Ponti, ou La découverte de Petit-Bond de Max Velthuijs (L’École des Loisirs), ou Au revoir Blaireau de Susan Varley (Gallimard).
Voici aussi des albums moins connus, qui peuvent être lus sans commentaires, en laissant les questions venir s’il y en a. Un conseil : parcourez-les seul avant d’en faire la lecture à voix haute. »
- Marie est partie, d’Isabelle Carrier, éd. Bilboquet.
Quelques à-plats de couleur, quelques mots, un petit personnage, et la “grosse boule” de chagrin… Beaucoup de finesse pour aborder ce thème avec les plus jeunes. Dès 2 ans. - Capitaine Papy, de Benji Davies, éd. Milan.
C’est une histoire de complicité et de tendresse, entre un grand-père et son petit-fils. Cet album qui peut être lu comme un récit d’aventures, parle de la mort sans le dire. Il raconte combien ceux que l’on aime restent proches, même quand ils partent très loin. Ce tour de force en fait un vrai coup de cœur. - L’ours et le chat sauvage, de Komako Sakaïet Kazumi Yumoto, éd. l’École des Loisirs.
« Ce matin-là, l’ours pleurait. Son ami le petit oiseau était mort. » Et l’ours s’enfonce dans son chagrin. Jusqu’à ce qu’il croise le chat sauvage, qui écoute sa douleur et lui permet de reprendre pied dans la vie. Les illustrations, presque exclusivement en noir et blanc, sont d’une profondeur incroyable. - Il faut le dire aux abeilles, de Sylvie Neeman et Nicolette Humbert, éd. La Joie de lire.
« Quand un apiculteur meurt, il faut le dire à ses abeilles. » Ainsi commence ce magnifique livre sur la mort. Doux et serein, illustré de photos, il met des mots sur les émotions, les sentiments. Un hymne à la vie. Dès 5 ans. - Albertus l’ours du grand large, de Laurence Gillot et Thibaut Rassat, éd. Milan.
Sur l’Albertus, un bateau de marins au long cours, un doudou râpé et recousu de partout sème le trouble parmi l’équipage. À qui appartient donc cet ours en peluche rapiécé ? Une histoire qui évoque avec finesse le thème douloureux de la mort d’un enfant. - Pour les adultes : Parler de la mort, de Françoise Dolto, éd. Mercure de France.
Couverture du numéro de novembre 2016 du magazine Pomme d’Api ; couverture du supplément pour les parents “Parler de la mort avec les enfants” accompagné d’un livret détachable “Pourquoi on meurt ?” à destination des 3-7 ans.