Dans notre vie quotidienne de plus en plus rapide, la façon dont nos enfants vivent le temps, tantôt ne supportant pas d’attendre, tantôt prenant tout leur temps, met nos nerfs à l’épreuve. Et si nous cultivions ensemble la patience ? La leur… et la nôtre !
Patience et longueur de temps…
Nos questions sur le thème « les enfants et la patience » ont suscité des cris du cœur chez les parents interrogés : « Ce qui me demande un effort, s’exclame Anne, maman de Mona, 3 ans et demi, c’est ma propre patience, pas la sienne ! Réussir à me plier à son temps à elle plutôt que de la contraindre à épouser mon rythme à moi, voilà qui m’est difficile ! »
Renaud, père de Pierre, 3 ans, et Zoé, 6 ans, balaye même le sujet d’un revers de la main : « C’est un non-sens de parler de la patience d’un petit enfant ! Il n’en a pas parce qu’il ne peut pas en avoir ! Quand on les accuse d’impatience, c’est de notre propre impatience que l’on parle, non ? »
Une intuition que confirme Bernadette Guéritte-Hess, psychomotricienne et orthophoniste. « Le temps, explique-t-elle, n’est pas visible. C’est le concept le plus difficile à comprendre. Seule la différence jour/nuit se voit. Le reste, une heure, une semaine, un an…, tout cela est invisible. Notre temps conventionnel n’existe pas pour l’enfant, qui est incapable d’évaluer ces durées. Longtemps, la seule différence dont il est capable, c’est “tout de suite” et “pas tout de suite”. La maîtrise complète du temps s’acquiert… en CM2, et encore ! »
Hier, aujourd’hui, demain
Bien sûr, du stade du nourrisson qui réclame l’assouvissement immédiat de tous ses besoins, à l’écolier de 10 ans, une évolution se fait. Mais moins vite que l’on veut parfois l’espérer. Ainsi, note Raphaël, à propos du plus jeune de ses cinq fils, âgé de 4 ans : « “Après-demain” et “tout à l’heure” sont un peu mélangés dans sa tête. Tout ce qui n’est pas le présent est assez flou. »
Bref, quand on dit « Attends une minute » ou « Plus tard », un enfant comprend avant tout un refus, car il n’est pas capable de se projeter. Dès lors, comment l’aider à accepter d’attendre ?
« Lorsque je fais patienter mon fils qui me réclame quelque chose, relate Raphaël, je tâche de le mettre dans l’action, pour qu’il ne soit pas uniquement en situation passive d’attente, et je m’efforce de lui donner des repères qui lui “parlent” : “après le déjeuner”, “quand on sera arrivé à ce rocher”… »
Autres stratégies chez Anaïs : « Mes fils expriment leur désir spontané (“je veux un yaourt”), sans faire attention au contexte. Dans ma réponse, j’essaie de les y sensibiliser : “Regarde, je suis en train de donner le bain…” Je les invite aussi à essayer de trouver eux-mêmes une solution à leur problème. »
Cette maman établit aussi une hiérarchie entre désirs et besoins. « S’ils ont faim, j’estime que c’est un besoin à assouvir au plus vite. Par contre, s’ils veulent le feutre rouge qui est dans le tiroir du haut, je trouve que la patience est un apprentissage utile ! »
« Attends, attends ! »
Aux parents aussi de cultiver la patience pour eux-mêmes. Notamment le matin par exemple, où les quarts d’heure qui précèdent le départ à l’école ont le don de stresser les adultes.
Sandrine cherche des conseils pour ne plus être celle qui répète sans cesse : « Dépêche-toi ! » en interrompant les jeux passionnants de son fils de 3 ans.
Quand ses enfants lui répondent : « Attends ! », Anaïs s’efforce aussi de prendre du recul. Elle se questionne : « Lui ai-je demandé correctement ? Et surtout, est-ce la peine de l’interrompre dans son jeu ou puis-je attendre 2 minutes ? »
Visualiser le temps
Pour désamorcer ces énervements bien naturels, Bernadette Guéritte-Hess préconise l’emploi d’une pendule toute simple, dotée des trois aiguilles (heures, minutes et secondes), bien distinctes (les colorer en bleu, jaune et rouge, par exemple).
« Avec les plus petits, on peut commencer à suivre le tic-tac de la trotteuse, en claquant la langue ou en frappant dans ses mains. Cela les amuse beaucoup. On suit 5 tic-tic, puis on arrête. »
À partir de 3 ans, cette pendule ainsi que d’autres instruments de mesure comme le minuteur, l’éphéméride, le calendrier annuel, permettent de montrer que « le temps, c’est de l’espace » et développer ainsi la précieuse pensée logico-mathématique.
Ainsi, un parent qui n’est pas disponible pourra dire : « Regarde, je colle une pastille bleue à cet endroit. Quand l’aiguille bleue (les minutes) y sera, je t’aiderai à faire ton puzzle. » Cela permet à l’enfant d’attendre, car il visualise le point d’arrivée. À nous de nous engager à être ponctuel !
Cela vaut aussi pour l’enfant qui « traîne » beaucoup. On peut ainsi lui dire : « Quand l’aiguille sera sur la gommette, il faudra que tu sois habillé. » Cela le responsabilise, donne un caractère ludique aux préparatifs du matin, et l’entraîne peu à peu à l’anticipation.
Patienter, c’est aussi se réjouir à l’avance. De l’anniversaire qui approche, du retour de Maman, partie en déplacement toute la semaine, de la visite tant espérée de Papi et Mamie, de la tulipe qui sortira un jour du bulbe planté ce matin, du gâteau que l’on mangera une fois que la pâte aura bien gonflé dans le four. Tout n’en est que meilleur !
À lire
L’enfant et le temps, de Bernadette Guéritte-Hess, éd. Le Pommier, 2011.
Fruit de cinquante ans de pratique d’orthophonie et de psychomotricité, ce livre permet de comprendre comment l’enfant structure sa pensée, dans et avec le temps. L’auteur donne une multitude de conseils pratiques pour rendre concrète cette notion si abstraite. Presque un jeu d’enfant !