Elles sont plus d’un million, en France. Pourtant, on les prend encore trop peu en considération. Même si la crise sanitaire a davantage permis d’entendre leur voix, Pomme d’Api a décidé de mettre en lumière les mamans solo et les talents qu’elles déploient au quotidien…
Pas le droit de faillir
Ne tournons pas autour du pot. Dans les 1,7 million de familles monoparentales en France, les chefs de famille sont souvent… des cheffes. Selon les chiffres du recensement 2018 de l’INSEE, sur 100 enfants, 21 vivent avec un seul parent. Et pour 18 d’entre eux, il s’agit de la mère. Au four et au moulin, elles sont aussi au travail pour faire bouillir la marmite, sur le chemin de l’école pour emmener ou récupérer les enfants, au supermarché pour remplir le frigo… Une sacrée pression, dans une société où, comme le souligne Olivia Barreau, fondatrice de l’association Moi & mes enfants : “Les attentes sont très fortes autour des mamans solo. Elles n’ont pas le droit de faillir.” Jennifer, 39 ans et mère d’une petite fille de 5 ans, ne dit pas autre chose : “On a la pression constante de tout devoir gérer toute seule.”
Là où les familles biparentales sont à deux pour prendre des décisions, les mères seules ne peuvent compter que sur elles-mêmes. D’où, selon Olivia Barreau, “deux fois plus de questions et deux fois plus de doutes”. Et aussi une certaine anxiété permanente : « J’ai le sentiment que s’il m’arrive quelque chose, le monde de ma fille va s’écrouler, raconte Jennifer. Ma crainte, avec la crise sanitaire, c’était de me dire : “S’il m’arrive quelque chose, qui va s’occuper d’elle ?” ». Autre angoisse récurrente : les difficultés financières. Être parent solo, c’est avoir un seul salaire pour nourrir la famille. Une situation à laquelle la société reste largement sourde. Jennifer l’a constaté dans sa recherche d’un nouveau logement. Elle a beau justifier un salaire plus que correct, le fait qu’elle soit seule à prendre en charge le loyer fait souvent tiquer du côté des propriétaires. “Je suis très limitée dans mes recherches car mes revenus me font sortir du parc locatif social”, explique-t-elle. Mère d’une fillette en primaire, Aude milite pour la création d’une carte de “parent solo” pour bénéficier de réductions dans les musées, les transports…, au même titre qu’il existe une carte “famille nombreuse”.
Et pour ces mères, si l’entrée en maternelle permet à leur enfant de découvrir un nouvel environnement et parfois de gagner en autonomie, cela peut se révéler également une source supplémentaire de complications. “Pour celles qui n’ont pas les moyens d’avoir une solution de garde après l’école, il faut s’adapter aux horaires de la collectivité qui sont moins souples que ceux d’une nounou”, estime Olivia Barreau. Pas évident, au bureau, de faire passer le message qu’on doit partir au plus tard à 17h30 pour récupérer sa progéniture. Léna, mère de quatre enfants de 23, 18, 14 et 4 ans, s’estime chanceuse : dans sa ville, la garderie ferme à 19 heures. “Mais le matin, elle n’ouvre qu’à 8 heures, ce qui fait relativement tard pour mon travail… Or les nounous sont peu intéressées par une heure de garde le matin.”
Tout faire soi-même
Pour faire face à ces embûches quotidiennes, les mamans solo développent de précieuses compétences. Certes, comme toutes les mères, elles connaissent la charge mentale. Mais elles la vivent… démultipliée ! Une indéniable lourdeur au quotidien mais aussi une sacrée prise d’autonomie, comme le souligne Léna. « Si on ne peut pas ou on ne sait pas, dans une famille biparentale, on se dit que l’autre pourra faire. Dans le cas des parents solo, ce n’est tout simplement pas possible. Alors on apprend à faire soi-même. Que ce soit en cuisine, en bricolage, en jardinage, j’ai grimpé les échelons. En fait, ce que j’aurais peut-être fait par plaisir, je me “dois” de savoir le faire. Du coup, je m’intéresse à énormément de choses et je reste perpétuellement en éveil. »
Or, aux yeux d’Olivia Barreau, ces capacités d’adaptation ne sont pas assez valorisées : “Les mères solo ont mille boîtes ouvertes dans le cerveau en même temps ! Elles doivent prioriser, prendre des décisions à chaud, d’autres à froid… Chaque mère solo est une cheffe d’entreprise qui fait aussi bien de la gestion de stocks, de la recherche de financement, de la gestion de litiges…” Mais ces mamans elles-mêmes ont du mal à prendre conscience de leurs qualités, comme le souligne la fondatrice de l’association : “Beaucoup ont le sentiment de ne pas faire assez. Elles ont tendance à se rabaisser.” Une première étape consisterait donc à reconnaître en soi ces capacités et à les valoriser. Aude a déjà franchi ce cap : “En tant que maman solo, je suis devenue courageuse, forte, résiliente”, martèle-t-elle.
Savoir déléguer
Une autre dimension à cultiver quand on est parent célibataire : apprendre à déléguer. Créer autour de soi un maillage solide, fait de la famille et des amis, permet de pouvoir, de temps en temps, passer le relais. Pour le thérapeute familial Richard Marchand, cette capacité à déléguer ne peut s’acquérir toute seule : “Après le choc de la rupture, il y a une réassurance à trouver. Il faut aider la personne à se remettre en croissance, à se réapproprier sa vie. C’est à cette condition que la délégation sera possible.” Aude confirme à 100 % : “Avant de pouvoir se créer un réseau d’aide, il est essentiel de se déculpabiliser. Chaque parent porte en soi une part de culpabilité. Quand on est solo, elle est encore plus importante.”
Pour s’ouvrir au monde, il faut donc couper un peu le cordon avec son enfant. Or, comme le reconnaissent les mères que nous avons interrogées, le lien avec leur petit est souvent assez fusionnel. Et ce, d’autant plus entre 3 et 6 ans, la fameuse “période œdipienne”. Pour Richard Marchand, il convient de ne pas dramatiser : « À cet âge, l’enfant a besoin d’un adulte référent, d’une présence. L’important est qu’il soit sécurisé. Un “freudien” ne serait peut-être pas d’accord avec moi, mais ce “suraccrochage” peut être régulé après. D’autant que l’école va permettre à l’enfant d’aller vers l’extérieur. »
Jennifer a ainsi créé un “écosystème” pour ne pas s’oublier. Parce que, rappelle-t-elle, “on a tendance à se faire passer au second plan. Sauf que si on ne va pas bien, l’enfant ne va pas bien non plus”… Elle privilégie donc les livraisons pour gagner du temps et a réussi à reprendre le sport grâce à une voisine chez qui sa fille peut se rendre le temps de la séance. Léna, elle, parvient à s’octroyer du temps en dehors de son travail, pour jouer sur scène. Et de conclure, sereine : “À la maison, je fais en sorte que chacun puisse développer son propre univers. Ainsi, nous pouvons nous épanouir ensemble, parce que chacun s’épanouit aussi de son côté.” Un équilibre idéal dont rêvent bien des mamans solo !
Vacances en solo
24 heures sur 24 avec son petit, cela a beau être les vacances, ce n’est pas forcément évident. Surtout quand, après une année menée tambour battant, on a besoin, en tant que parent, de recharger les batteries. Conscientes de la hausse du nombre de familles monoparentales en France (et aussi, ne nous leurrons pas, du marché qu’elles représentent), différentes structures leur concoctent des formules qui leur sont particulièrement dédiées. C’est le cas de Belambra, des Villages Clubs du Soleil, de Familytrip, des Covoyageurs… À noter que l’association Moi & mes enfants, fondée par Olivia Barreau, propose aussi des séjours pour les parents solo. Mais on peut également organiser ses propres vacances, et préférer, comme Aude, de petites excursions dans des capitales européennes à des séjours en clubs, trop chers. Berlin, Bruxelles, Vienne… constituent des destinations souvent plus abordables en été que les pays de la Méditerranée, et sont très “kids friendly”. Et pour réduire encore un peu plus les dépenses, pourquoi ne pas opter pour l’échange d’appartements ? Léna, elle, mise sur les vacances en famille ou entre amis, histoire de “créer des souvenirs et des rituels, et de resserrer les liens d’amitié”. Bref, à chacune et à chacun d’inventer sa propre recette du bonheur en vacances !
Pour aller plus loin
• La nuit tombe, Maman rêve, de Cécile Dumoutier, Luna Granada et Ève Gentilhomme, La Tête Ailleurs. Un album pour les “4-7 ans” qui pose un regard doux sur les familles monoparentales dont le quotidien, parfois compliqué, n’exclut pas la tendresse.
• Maman solo “Les oubliées de la République”, de Nathalie Bourrus, Pygmalion. Journaliste, Nathalie Bourrus est également maman solo. Dans ce livre passionnant, elle relate son quotidien et interpelle avec une colère salutaire sur la situation de ces mères dont la société fait encore bien peu de cas.
• Tenir jusqu’à l’aube, de Carole Fives, Folio Gallimard. Une jeune mère vit seule avec son enfant. Elle jongle entre la gestion du quotidien et un sentiment de solitude qui ne cesse de se creuser. Un roman bouleversant mettant en exergue non seulement l’isolement, mais aussi l’indifférence qu’une mère seule subit de plein fouet.