À l’École de la Forêt de Chantemerle (Charente), les enfants passent leurs journées dehors à escalader, bricoler ou “travailler” en forêt. Poussée par la curiosité, la journaliste de Pomme d’Api a passé une journée dans cette maternelle unique en France.
“Moi, je connais tout ! Je vais te montrer le chemin où il y a des noix, le potager, la prairie, la forêt !” Nathaël est tout excité : aujourd’hui, une journaliste vient visiter son école. Quel événement ! Il y a fort à parier que je ne serai pas la dernière, car l’école de Nathaël est unique en son genre en France. C’est une maternelle en forêt, dont les élèves passent la journée entière… dehors, par tous les temps. “Quoi ? Toute la journée dehors ?” C’est précisément l’étonnement opposé – “Quoi ? Toute la journée dedans ?” – qui a suscité la création de cette structure. Suivant l’exemple des pays du nord de l’Europe, où les jardins d’enfants et les écoles maternelles en forêt sont répandus (l’Allemagne en compte plus de 2000), de plus en plus d’éducateurs sont convaincus que la nature est l’outil pédagogique le plus adapté au jeune enfant. Y être immergé quotidiennement, quel que soit le temps, et y être libre de ses activités, permettrait l’acquisition d’une multitude de compétences (agilité, créativité, entraide, confiance en soi…) et rendrait les enfants d’emblée sensibles à la question environnementale
Un modèle unique en France
En France, les projets sont nombreux, mais seule l’École de la Forêt de Chantemerle, située à une quinzaine de kilomètres d’Angoulême, sur la commune de Marsac, a ouvert ses portes. Portes… façon de parler, car si l’établissement dispose bien d’un local pour le rassemblement du matin et la sieste des petits, les enfants évoluent essentiellement au grand air, dans un vaste domaine de 30 hectares.
Ce matin-là, le ciel charentais est bleu, mais les sous-bois sont bien humides. La petite troupe s’équipe : chaussures de marche ou bottes, sursalopettes en plastique, sacs à dos. Les enfants sont âgés de 2 ans à 5 ans et demi, et – exception faite d’un lacet à nouer par-ci par-là – tous sont bien autonomes et partent vaillamment avec leur repas sur le dos. La mascotte de l’école, une jeune chienne sautillante, leur tourne autour. Nancy et Sophie, les deux “maîtresses”, aspergent d’anti-tiques les bas des jambes et les cheveux. La première est éducatrice de jeunes enfants, et la seconde, psychologue. Épaulées par un groupe de parents engagés dans le projet, elles sont parvenues à faire tomber les barrières administratives pour ouvrir cette maternelle alternative.
Nous partons enfin pour la forêt. Très vite, les bâtons ramassés sur le sentier se transforment en pelles, en épées, en chevaux…, au gré des imaginations. “Les premières semaines, les enfants s’éparpillaient en tous sens et nous passions nos journées à les compter”, se souvient Nancy. Depuis, les consignes de sécurité sont bien intégrées (on ne perd jamais le groupe de vue), et la crainte de perdre l’un d’entre eux a disparu.
Une liberté encadrée
“Mais ce n’est pas parce qu’on est dehors que c’est une grande récré !” souligne Sophie. Activités libres et activités encadrées alternent. Nous grimpons dans la forêt jusqu’à un endroit où sont disposées deux tables de bois taille enfant, une cahute qui abrite des toilettes sèches, un petit évier alimenté par un jerricane pour se laver les mains. Une grande bâche est tendue entre les arbres, en cas de pluie. C’est une des “salles de classe” aménagées dans le domaine. Elle sert aussi de “réfectoire” : c’est là que chacun déjeune de son repas tiré du sac. Conscientes que les enfants devront un jour s’adapter au système scolaire normal, les deux encadrantes s’efforcent aussi de suivre le programme officiel de la maternelle. Selon l’âge de chacun, elles ont préparé des fiches tout à fait classiques : jours de la semaine pour les uns, lignes verticales pour les autres… Les enfants sont ravis de sortir leurs trousses, et s’appliquent.
Mais quand on les questionne sur leur école, ils racontent surtout ce qui fait sa spécificité : “On a nourri les arbres avec du crottin pour avoir des fruits. Le crottin, c’est du caca de cheval”, m’explique Éloys. “On a joué à la marchande”, raconte Romane. “J’aime chercher les œufs des poules”, confie Louna. “Au début, se souvient Sophie, certains enfants étaient craintifs avec les animaux et d’autres trop hardis.” Sophie et Nancy ont travaillé avec eux sur les émotions pour les aider à mieux exprimer leurs appréhensions, leurs besoins… Depuis la rentrée, elles les trouvent plus endurants, plus débrouillards, plus attentifs aux autres et à ce qui les entoure. Le jour du reportage, les plus grands n’auront passé que 45 minutes à l’intérieur. Les plus jeunes n’ont pas rechigné à s’allonger pour la sieste dans la salle, obscurcie par des rideaux. Après une demi-journée au grand air, j’aurais bien fait comme eux !
L’École de la Forêt de Chantemerle est une école privée hors contrat, sous statut associatif (Chemin de Chantemerle, 16570 Marsac).
La nature en pages : 2 albums et 2 guides
Petits riens, grande nature, Géraldine Collet, Kerascoët, Albin Michel Jeunesse, 11,90 €.
Petit escargot, grand ami ; gros pissenlit, petite magie… Une très jolie évocation du regard de l’enfance sur les merveilles de la nature.
Parler avec les arbres, Sara Donati, Le Rouergue, 15,90 €.
“J’ai d’abord pensé qu’il fallait le saluer, alors j’ai dit : “Salut !” Entre le narrateur et l’arbre, une relation se tisse. Un album original, qui nous fera désormais regarder les arbres comme des personnes.
Cherchez la petite bête, Alain Boudet, Solenn Larnicol, Rue du Monde, 16 €.
Tout savoir sur 40 petites bêtes que l’on rencontre sur nos chemins. Taille, habitat, particularités et… un poème ! De magnifiques aquarelles pour ce guide naturaliste poétique.
Mon cahier des 4 saisons, François Lasserre, Isabelle Simler, Nathan, collection Colibris, 11,90 €.
Classés par saison, les oiseaux, les insectes, les mammifères et les plantes que l’on peut facilement observer dans la nature. En bonus : 80 petites cartes à détacher et à emporter sur le terrain.
Petites activités au grand air
Emmenons nos enfants dans la nature et laissons-les ramasser, cueillir, arracher, montrer, toucher, grimper… en nous retenant de leur dire à tout bout de champ : “Attention, tu vas te faire mal !” ou “Touche pas, c’est sale !” Voici quelques idées à piocher pour transformer vos balades au grand air en épopées extraordinaires.
Petits conseils Pour ouvrir les yeux de vos enfants (et les vôtres !)
•Partez avec une loupe, le nez au sol. Elle pourra raviver l’intérêt de votre progéniture, si celui-ci faiblit. Grâce à elle, une plaque de mousse, un vieux tronc d’arbre, une flaque d’eau… révéleront les secrets d’une vie invisible à l’œil nu.
•Maintenant, levez la tête, et repérez les arbres “amoureux” : ceux qui s’entrelacent, s’enroulent, s’éloignent puis se rejoignent, ne font qu’un. Ils sont plus nombreux qu’on le croit !
•L’escargot plaît aux petits. Attirez leur attention sur les spirales qui se dessinent sur les coquilles : elles sont toutes différentes ! Parfois, la coquille présente une boursouflure, une rugosité particulière : c’est une cicatrice. L’escargot est capable de faire lui-même de petites réparations sur sa coquille !
Explorer la forêt avec tous ses sens
Le foulard est un bon accessoire. Bandez les yeux de votre enfant et portez son attention sur les odeurs. Faites-lui sentir différentes choses : une motte de terre, une poignée de feuilles décomposées, une écorce… et faites-le deviner de quoi il s’agit.
Yeux bandés toujours, sollicitez le toucher en faisant caresser différents troncs d’arbre à votre enfant. Certains sont très lisses, d’autres ont une grosse écorce en relief, etc. À lui de retrouver ensuite chaque arbre, les yeux ouverts !
Focalisez-vous ensemble sur les bruits. L’oiseau, le vent, les pas… Au bout d’une minute, proposez-lui de se boucher les oreilles avec ses mains. Le silence… On “voit” ainsi moins bien la nature autour de soi. Rien de tel pour prendre conscience de l’importance de l’ouïe dans la perception de notre environnement !
Découvrir La vie secrète de la forêt
Ce n’est pas un hasard si la forêt est le décor de tant de contes merveilleux : elle est propice à l’imaginaire ! Ensemble, regardez autour de vous. Si vous étiez un petit lutin, quel recoin auriez-vous choisi pour maison ? Et si vous l’aménagiez, à mi-chemin entre cabane miniature et land art ? Des petites branches, de la mousse, des fleurs, des feuilles…, jamais le lutin n’aura eu un si beau refuge !
Vous retrouverez ces idées et bien d’autres dans le livre Tous dehors ! en forêt de Patrick Luneau, Salamandre, 2018, 19 €.
“À l’école de la nature”, supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api n°638, avril 2019. Texte : Anne Bideault. Illustrations : Chloé Perarnau.
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