Téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux, smartphones, tablettes… au cours de la dernière décennie, les écrans se sont multipliés dans notre vie. Pomme d’Api fait le point sur le rapport qu’entretiennent avec eux les enfants. Face à l’image, que se passe-t-il dans leurs petites têtes ? Et comment accompagner les 3-7 ans dans leur découverte du monde des écrans ?
Aujourd’hui, la question n’est plus de se prononcer pour ou contre les écrans
Les écrans sont là, partout. Rares, très rares, sont les familles qui résistent encore à l’envahisseur. Si les ados et les adultes sont les plus gros utilisateurs, nos petits lecteurs réclament souvent leur tour et se débrouillent très bien avec ces objets high-tech. D’autant que certains contenus proposés sur ces nouveaux outils sont imaginatifs, créatifs, ludiques, interactifs, poétiques parfois !
“Il est normal que notre cerveau soit séduit par ces contenus ludiques, explique Elena Pasquinelli, chercheuse en philosophie et sciences cognitives. Les ingrédients qui les composent sont comme des bonbons pour lui : ils le séduisent et le mobilisent énormément.”
Elena Pasquinelli a participé à la conception d’un projet éducatif intitulé “Les é, le cerveau et l’enfant” pour la fondation La Main à la pâte* et elle confirme : “Les jeux vidéo, par exemple, en jouant à la fois sur les stimuli visuels, sonores, sur notre appétit pour la résolution de problèmes et pour l’action, mais aussi sur notre intérêt pour les relations sociales, sont les meilleurs capteurs d’attention du monde audiovisuel.” Console en main, le temps passe donc sans que l’on s’en rende compte… simplifiant parfois grandement la vie des parents !
Rien ne remplace le monde réel
Yann Leroux* est psychologue et travaille dans un CMPP (Centre médicopsycho-pédagogique) à Poitiers. Il anime aussi un blog intitulé “Psy et Geek”. C’est dire s’il n’appartient pas au clan des “anti” ! Mais tout geek qu’il est, il n’en reste pas moins psy : “Le travail psychique qui s’élabore au travers des “vrais” objets est fondamental.”
À la naissance, seuls 10 % des neurones du cerveau humain sont connectés. Son développement, commencé in utero, va se poursuivre pendant au moins vingt ans. Plus les explorations vont être variées, plus le cerveau va se développer. Certes, les outils interactifs rendent les petits utilisateurs moins passifs, et les enfants développent avec les écrans tactiles une aisance qui nous fascine. Mais à y regarder de près, bouger un doigt sur une surface lisse n’est pas comparable avec la richesse d’informations que donne le toucher.
Durant ses premières années, un enfant doit découvrir le monde qui l’entoure avec tout son corps. Bouger, goûter, tripoter, sentir le froid, le chaud, l’air, la fatigue physique, mesurer sa force physique, une expérience du réel que le monde virtuel ne permet pas. Mais quand même, et les applis “ludo-éducatives” ? Cri du cœur de Yann Leroux : “Mieux vaut se rouler dans la boue que d’utiliser une appli ludo-éducative ! Mieux vaut acheter un vrai puzzle que faire un puzzle sur un téléphone !”
Comprendre ce qui se passe à l’écran : pas simple !
Tous les parents en font l’expérience : le résumé d’un dessin animé par un enfant de maternelle révèle bien des surprises. Normal, comprendre un scénario, c’est complexe. “Car pour suivre une narration, souligne Elena Pasquinelli, il ne s’agit pas uniquement de comprendre ce qu’il se passe à l’écran à l’instant, mais de le relier à ce qu’il s’est passé avant.” Or, la mémoire à court terme n’est pas très développée chez les petits enfants. On s’en rend compte en CP, lors de l’apprentissage de la lecture : le plus dur n’est pas forcément de déchiffrer les lettres mais de se souvenir de ce que l’on vient de lire !
Ainsi, face à un film ou un dessin animé, pour vraiment comprendre l’histoire, l’enfant a besoin d’un adulte assis à ses côtés pour l’aider à faire des liens entre les images. Ce n’est pas pour rien qu’applis, DVD et petits jeux doivent être adaptés à l’âge des enfants !
Avant 6 ans : à doses “homéopathiques” et sous surveillance
Pour le psychologue comme pour la scientifique, l’entrée au CP constitue un bon repère, pour faire, si on le souhaite, davantage de place aux écrans. La capacité à suivre des scénarios imaginaires, à lire et comprendre les consignes, à manipuler les commandes des consoles… tout est plus maîtrisé.
Avant six ans, les expériences que fait un jeune enfant avec un écran peuvent être source d’un grand amusement, à condition que l’enfant ne soit pas laissé seul devant l’écran. Cela tombe bien : nombreux sont les adultes qui préfèrent jouer avec leur enfant autour d’un écran qu’autour de la caisse de Playmobil.
“Les enfants ont conscience que la tablette, le smartphone, sont des objets pour les grands, ajoute aussi Yann Leroux. Les manipuler, c’est promotionnant.” Ce partage est, pour ce psychologue, un des gros atouts de ces écrans : l’occasion de vivre une expérience et des émotions ensemble et donc, pour l’enfant, de découvrir son parent autrement. Observer que son papa, pourtant si prompt à parler de fair-play, s’énerve très fort quand il perd, c’est découvrir son humanité !
Enfin, pour donner des repères de durée, le pédopsychiatre Stéphane Clerget, qui a consacré il y a dix ans un livre sur les enfants face à la télé, propose une gradation pratique à mémoriser : pas plus d’une heure par semaine et par année d’âge, en additionnant tous les écrans ! Ce qui donne quand même : 3 heures à 3 ans, 5 heures à 5 ans, 8 heures à 8 ans… À répartir dans chaque famille par petites doses homéopathiques entre le week-end et les jours d’école. Un véritable défi quand il y a une fratrie d’âges variés.
Face à un écran, des émotions à accompagner
Ainsi, quel que soit son âge, Yann Leroux insiste beaucoup sur le fait qu’un enfant ne doit pas être laissé seul face à un écran ou à la fin d’une partie de jeu sur une appli. Qu’il ait perdu à plusieurs reprises ou qu’il se soit senti le roi du monde, “il est essentiel qu’il puisse faire part de son expérience à quelqu’un d’autre, pour la digérer.” Quelqu’un qui l’écoute, le ramène dans la réalité, le pousse vers d’autres univers culturels, lui explique que le jeu est conçu pour qu’il perde plus souvent qu’il ne gagne…
Bref, à l’âge Pomme d’Api, si l’on permet l’accès aux écrans, il faut partager avec nos enfants le temps qu’ils passent devant. Pour la baby-sitter numérique, c’est raté !
Le temps, la mesure impossible…
Nous avons tous en tête les discussions conflictuelles sur la durée de la partie : “Encore 5 minutes !” Le temps passe très vite quand on est passionné… Elena Pasquinelli suggère d’en faire faire l’expérience aux enfants. Après un trajet en voiture, on peut demander à chaque membre de la famille : à ton avis, on est resté combien de temps dans la voiture ? Les plus grands pourront répondre en minutes, les plus jeunes avec des adjectifs : longtemps, pas longtemps… On en déduira que chacun a une perception différente du temps qui passe.
Aussi, pour se mettre d’accord sur le temps passé face à un écran, faudrait-il utiliser un objet comme un minuteur ? Pourquoi pas, mais avec une mise en garde, précise Yann Leroux, “il faut prévoir que l’enfant déborde, comme ses parents quand ils jouent à Candy Crush Saga ! Ça ne sert à rien de le gronder, il faut l’accompagner dans l’arrêt du jeu. On ne peut pas attendre d’un enfant qu’il se maîtrise tout de suite. C’est comme le vélo : on continue de courir à ses côtés lorsqu’il commence à pédaler seul, non ?” Et si l’excitation numérique gagne nos petits, on reprend… euh, le Pomme d’Api ?
Ressources
- Elena Pasquinelli a conçu, avec trois autres coauteures, un projet éducatif intitulé “Les écrans, le cerveau et l’enfant” pour la fondation La Main à la pâte dont la mission est de contribuer à améliorer la qualité de l’enseignement de la science et de la technologie à l’école.
- Retrouvez sur la page Facebook de Pomme d’Api les courtes vidéos créées par La Main à la pâte pour attirer l’attention des enfants sur certains mécanismes de notre cerveau face aux écrans. Elles sont également disponibles sur le site de la fondation La Main à la pâte en cliquant sur fondation-lamap.org/fr/cerveau
- Yann Leroux est l’auteur de Les jeux vidéo, ça rend pas idiot !, FYP éditions, 2012.