Vos enfants se disputent. Vaut-il mieux laisser faire les choses ou intervenir, et de quelle façon ? Les conseils du magazine Pomme dâApi pour comprendre ce qui se noue entre frĂšres et sĆurs et savoir comment rĂ©agirâŠ
Comprendre les rivalitĂ©s entre frĂšres et sĆurs
âQuand est-ce quâon le ramĂšne Ă lâhĂŽpital ce petit frĂšre ?â, âQuoi ? Elle va habiter avec nous maintenant ?â⊠Câest sĂ»r, la naissance dâune fratrie est parfois soulignĂ©e par ses membres avec un sens de la formule qui laisse les parents sans voix. Avant que ne soient organisĂ©es des grandes parties de cache-cache, avant que la maison ne rĂ©sonne de fous rires partagĂ©s, les sentiments qui se manifestent les premiers sont rarement les plus tendres.
Naturelles et inĂ©vitables, les rivalitĂ©s entre frĂšres et sĆurs reflĂštent une crainte : celle de perdre lâaffection de ses parents. Nos dĂ©nĂ©gations (âle cĆur des parents sâagrandit Ă chaque naissance !â), nos efforts pour consacrer du temps Ă chacun, peuvent amoindrir mais nâeffacent pas cette angoisse existentielle : lâautre enfant, quâil soit plus grand ou plus petit que moi, que je joue avec lui ou non, que je le cĂąline ou non, est une menace. DâoĂč les soudaines tempĂȘtes lorsque le petit frĂšre est en train de tĂ©ter dans les bras de Maman, dâoĂč les disputes pour savoir qui sera assis Ă cĂŽtĂ© de Papa, dâoĂč les rĂ©criminations sur le nombre de chips mangĂ©es par lâun ou lâautre au cours de lâapĂ©ritif⊠Mais on a beau savoir que câest naturel, on se passerait volontiers de ces disputesâŠ
Ne pas forcer la bonne entente
La plupart des parents nourrissent le doux rĂȘve de construire une famille oĂč tout ne serait quâharmonie, bonne entente, respect et tendresse. Normal : les tensions, mĂȘme passagĂšres, mettent nos nerfs Ă rude Ă©preuve et nous coĂ»tent bien plus dâĂ©nergie que les moments pacifiques et complices. Pourtant, vouloir Ă tous crins les faire disparaĂźtre serait une erreur.
Forcer la bonne entente, exiger lâaffection, câest empĂȘcher les enfants dâexprimer les Ă©motions qui les traversent. Il suffit, pour sâen convaincre, dâobserver un petit bonhomme fraĂźchement devenu grand frĂšre. La famille, les proches se pressent autour du berceau du nouveau-nĂ©, et il se trouve toujours un adulte pour poser la question : âAlors, tu es content dâavoir une petite sĆur ?â En gĂ©nĂ©ral, il nâobtient pour rĂ©ponse que le silence. Voire une fuite dans une autre piĂšce, un dos qui se tourne. Quel dĂ©chirement doit se jouer Ă lâintĂ©rieur de cette petite personne, tiraillĂ©e entre le dĂ©sir de contenter ses parents qui ont lâair si heureux, et celui dâexprimer ce quâil a au fond du cĆur !
Pour lâavoir testĂ©e, une autre phrase peut susciter un tout autre comportement : âAlors, câest pas trĂšs facile, hein, dâavoir une petite sĆur ? Elle tâĂ©nerve un peu, non ?â Le visage sâĂ©claire, le regard, interrogatif, esquisse un sourire, comme soulagé : quelquâun me comprend, quelquâun mâautorise Ă Ă©prouver ce que jâĂ©prouve. La pression tombe. On pourrait mĂȘme poursuivre et ajouter : âTu nâes pas obligĂ© de lâaimerâ, en se fiant Ă la prĂ©diction de Françoise Dolto : âLibre de dĂ©tester celui qui vient bouleverser son ordre, lâaĂźnĂ© en vient naturellement Ă faire comme ses parents, Ă lâaimer.â
Ătre ferme face aux dĂ©bordements physiques et verbaux
Pour autant, cette autorisation Ă âne pas aimerâ ne doit en aucun cas ĂȘtre comprise comme la permission de laisser libre cours Ă ses pulsions agressives. Et câest lĂ que le rĂŽle des parents demande doigtĂ© et fermetĂ©. Ils ont Ă cadrer les dĂ©bordements physiques et verbaux, et doivent intervenir dĂšs lors quâun de leurs enfants se soumet trop au pouvoir de lâautre.
LâaĂźnĂ©, bien sĂ»r, a de lâascendant sur les plus jeunes, ne serait-ce que parce quâil a plus de force physique et joue de son aura de plus grand. Ainsi, HĂ©lĂšne se sent obligĂ©e de reprendre son fils aĂźnĂ©, Ă©lĂšve de CP, qui donne des ordres Ă son petit frĂšre, en admiration devant lui : âVa me chercher mon feutre rouge ! Ramasse ma feuille !â Les phrases comme : âTâes nulâ, âTâes un minus !â doivent systĂ©matiquement ĂȘtre reprises. Mais les plus petits ne sont pas forcĂ©ment les plus faibles, au contraire. Ainsi Sandra se dĂ©sole-t-elle de voir son fils de 6 ans sâeffacer devant sa petite sĆur de 2 ans, qui âfait la loiâ : âLorsque je lâai sur mes genoux, si sa sĆur arrive, il lui cĂšde tout de suite la place. Jâai du mal Ă lui faire comprendre que lui aussi, il a droit Ă des cĂąlins, mĂȘme si sa sĆur nâest pas dâaccord.â Au terme dâune grosse dispute, Marie a rĂ©uni ses quatre fils ĂągĂ©s de 10 mois Ă 8 ans : âQue vous le vouliez ou non, vous allez vivre ensemble pendant encore au moins dix ans. Autant que ça se passe au mieux, non ?â
Au contact de ses frĂšres et sĆurs, avec lesquels il apprend Ă partager son lieu de vie, lâattention de ses parentsâŠ, lâenfant acquiert bon grĂ© mal grĂ© un savoir-faire social qui lui sera utile : il fait avec lâexistence de lâautre. Comme le souligne Nicole Prieur, dans son livre Grandir avec ses enfants (Ă©d. LâAtelier des Parents, 2014) : âLa fraternitĂ©, câest quand la dignitĂ© de lâautre me concerne, quand je reconnais sa valeur.â
Peut-on ĂȘtre juste ?
Mais les parents, chefs dâorchestre de cette partition fraternelle, sont souvent taraudĂ©s par une question : âComment faire pour ĂȘtre juste, Ă©quitable ?â En cela, les enfants sont prompts Ă les culpabiliser : âCâest pas juste ! Il a eu plus de sirop que moi ! Il a le droit de lire plus longtemps ! Elle ne met jamais la table !â Ă travers ces calculs, câest toujours la lutte pour lâamour exclusif des parents qui se fait jour.
Les parents ont tout Ă gagner Ă ne pas entrer dans cette tenue de comptes, qui glisse si facilement vers la comparaison. Il faut au contraire marquer les diffĂ©rences en tenant compte des besoins de chacun : âOui, ton petit frĂšre ne met pas la table, mais Ă son Ăąge, tu ne la mettais pas non plus. Maintenant, tu as grandi et je sais que je peux te faire confiance.â âOui, ta grande sĆur a le droit de lire dans son lit. Câest normal, elle a trois ans de plus que toi, et son corps a un peu moins besoin de sommeil.â Chaque situation, chaque rang de naissance a ses privilĂšges et ses inconvĂ©nients. Aux parents de les expliciter Ă chacun des enfants : les plus petits, voyant ce que peut faire lâaĂźnĂ©, y puiseront lâenvie de grandir ; lâaĂźnĂ©, constatant ce dont bĂ©nĂ©ficie encore le plus jeune, prendra conscience du chemin quâil a dĂ©jĂ parcouru, des difficultĂ©s quâil a dĂ©passĂ©es : âMoi aussi, je ne pouvais pas mâendormir sans mon doudou !â
Les liens fraternels se tricotent et mĂ»rissent doucement. Mais quelle force dans la complicité qui en dĂ©coule ! Quelle richesse dans tous ces moments partagĂ©s, quand bien mĂȘme ils sont Ă©maillĂ©s de disputes et de gros chagrins. Ă la naissance de la petite derniĂšre, ma seconde fille paraissait toute tourmentĂ©e, alors que sa sĆur aĂźnĂ©e rayonnait de joie. Elle a fini par avouer, les larmes aux yeux, âquâelle ne savait pas ce quâil fallait faire, quand on Ă©tait une grande sĆur.â âRien, lui ai-je dit. Rien. Juste ĂȘtre comme tu es, ce sera trĂšs bien.â Hochant la tĂȘte, elle mâavait alors racontĂ© comment elle avait choisi âle doudou pour le bĂ©bĂ©â dans le magasin : âJe lâai pris, je lâai essayĂ© pour voir si on pouvait le frotter sur son Ćil. Ăa marchait bien, alors jâai dit Ă Papa quâon pouvait lâacheter.â VoilĂ . Elle Ă©tait devenue une grande sĆur.
Ă lire avec les enfants
- Un petit frĂšre pour Nina, de Christine Naumann-Villemin et Marianne Barcilon, LâĂ©cole des loisirs.
- Une journĂ©e inoubliable, de Lola M. Schaefer et Jessica Meserve, Ăditions Circonflexe.
- Le mystérieux chevalier sans nom, de Cornelia Funke et Kerstin Meyer, Bayard Jeunesse.

Cet article est extrait du supplĂ©ment pour les parents du magazine Pomme d’Api du mois de janvier 2016.
âRelations frĂšres-sĆurs : quand faut-il s’en mĂȘler ?â Texte : Anne Bideault – Illustrations : Peter Elliott – SupplĂ©ment pour les parents du n° 599 de Pomme dâApi, janvier 2016