Les chiffres sont sans appel : un couple sur trois se sépare, et la moitié de ces couples ont au moins un enfant à charge. Chaque année, prÚs de 200 000 enfants sont confrontés à la séparation de leurs parents. Mais cette fréquence ne doit pas faire oublier que, pour un enfant, la séparation de ses parents est un bouleversement complet.
âPourquoi je suis lĂ ?â
La sĂ©paration des parents ? Câest un âtsunamiâ, un âmonde qui sâĂ©crouleâ⊠Pour nous faire comprendre ce qui se passe dans le corps et le cĆur dâun enfant lorsque ses parents annoncent leur sĂ©paration, les professionnels nây vont pas par quatre chemins. Timidement, comme pour nous convaincre que câest moins terrible quâils ne le disent, on insiste encore : âMĂȘme si ses parents se disputaient souvent ?â, âMĂȘme si ça se passe sans heurts ?â. Oui. MĂȘme si.
Autant ne pas se voiler la face : quand ses parents se sĂ©parent, quelle que soit la situation et mĂȘme si la vie Ă la maison Ă©tait un enfer, lâenfant vit quelque chose de trĂšs difficile. Pourquoi ? Parce que lâenfant nâest plus Ă mĂȘme, soudainement, de rĂ©pondre Ă la question âPourquoi je suis lĂ ?â, explique VĂ©ronique Herlant, psychologue Ă Lyon. La rencontre â quelles quâen soient les conditions â entre ses parents, dont il est le fruit, et qui justifie sa prĂ©sence, a perdu son sens. Pour retrouver sa place, pour reprendre pied, âil va falloir que lâenfant remaille ce trou qui sâest ouvert, remette du sens.â Et ça, ça prend du temps.
âEst-ce que câest pour toujours ?â
La profondeur de la blessure est telle que lâenfant tente de la colmater en nourrissant lâespoir que ses parents se remettent ensemble. MĂȘme un enfant qui affirme : âJâai bien compris que câest pour toujoursâ cultive cette croyance. Certains adultes tĂ©moignent dâailleurs Ă quel point ils ont vĂ©cu longtemps avec cette idĂ©e.
De mĂȘme, lâenfant a inĂ©vitablement la conviction que tout cela, câest de sa faute. âLâenfant a besoin de se sentir coupable, expliquent les auteures de Une semaine chez Papa, une semaine chez Maman, Claire Wiewauters et Monique Van Eyken. Il est confrontĂ© Ă une dĂ©cision Ă laquelle il ne peut rien changer et dans laquelle sa voix ne compte pas.â Se dire que câest de sa faute, complĂšte VĂ©ronique Herlant, câest âreprendre prise, ĂȘtre acteur de ce qui arrive, reprendre place dans la scĂšne qui se joue. Cela vaut mieux que de se sentir Ă©cartĂ©â.
Il incombe aux parents de dire que leur dĂ©cision est âune affaire de grandsâ. Sans craindre de se rĂ©pĂ©ter, comme le souligne RaphaĂ«l, un papa sĂ©parĂ© : âIl a fallu rĂ©pĂ©ter Ă notre fille les Ă©lĂ©ments sĂ©curisants, lui redire lâamour que lâon a pour elle, et quâelle ne perdra ni lâun ni lâautre de ses parents.â Il est important de bien distinguer la relation parent-enfant de celle qui unissait les deux adultes.
Lâentourage proche, les grands-parents peuvent aussi jouer un rĂŽle important, pour que lâenfant ne se sente pas seul face Ă lâĂ©nigme de la sĂ©paration de ses parents. Si le cadre familial se trouve bouleversĂ©, la maison des grands-parents peut offrir un havre de paix Ă lâenfant, dans la mesure oĂč ceux-ci sâabstiennent de prendre part au conflit.

Ătre attentif aux rĂ©actions de son enfant
Ce quâĂ©prouve lâenfant ne se voit pas toujours. Si certains enfants rĂ©agissent trĂšs fort Ă lâannonce de la sĂ©paration de leurs parents (physiquement et verbalement), dâautres ne manifestent pas leur rĂ©action de façon explicite. âElle nâa pas rĂ©agi, relatent les parents, interloquĂ©s. On sâest mĂȘme demandĂ© si elle avait entendu.â Câest âcomme si de rien nâĂ©taitâ⊠du moins en surface. Mais le corps a dâautres langages.
VĂ©ronique Herlant reçoit souvent des enfants en consultation pour âdes symptĂŽmesâ : cauchemars frĂ©quents, retour du pipi au lit, difficultĂ© de se sĂ©parer au moment dâentrer dans la classe ou dâaller chez la nounou⊠Ces troubles peuvent ĂȘtre des Ă©chos de la relation entre les parents. Lâenfant peut Ă©galement rĂ©agir avec un dĂ©calage dans le temps. Coralie en tĂ©moigne : deux ans aprĂšs la sĂ©paration de ses parents, sa fille sâest mise Ă faire des reproches trĂšs durs Ă sa mĂšre.

Un enfant a déjà vécu des séparations
âJâai hallucinĂ© sur la capacitĂ© dâadaptation de ma fille ! Je lâai trouvĂ©e super forte dans cette Ă©preuveâ, confie RaphaĂ«l, admiratif, sans pour autant sâaveugler sur les âmoments de chagrin intense quâelle traverseâ.
Dans sa vie, un enfant a dĂ©jĂ vĂ©cu des sĂ©parations. En tout premier, sa naissance, qui lâa arrachĂ© au cocon douillet du sein maternel, puis les premiĂšres sĂ©parations de la vie quotidienne : aller chez la nounou, Ă lâĂ©cole, partir chez les grands-parents⊠Lâenfant sait quelque chose de la douleur, du refus de se sĂ©parer. âTout ce matĂ©riau va lui ĂȘtre utile, explique VĂ©ronique Herlant, en venant rĂ©sonner avec ce quâil a Ă vivre. On aimerait tous de lâharmonie, mais on fait lâexpĂ©rience que la rĂ©alitĂ© est faite dâinadĂ©quation, et quâil faut en permanence sâadapter. Lâenfant est dans ce travail depuis sa naissance.â

Se comporter en adulte
Bien sĂ»r, une sĂ©paration conflictuelle est plus difficile Ă vivre quâune sĂ©paration oĂč chaque parent maintient un lien constructif avec lâautre. Pour sây efforcer, Claire Wiewauters et Monique Van Eyken suggĂšrent aux parents dâadopter la perspective de lâenfant, pour essayer de voir la situation âĂ travers ses yeuxâ.
Parmi les parents qui ont tĂ©moignĂ© de leurs sĂ©parations, deux sont professionnellement confrontĂ©s Ă des dĂ©chirements conjugaux. Lâun travaille dans la police, lâautre intervient auprĂšs de familles, Ă la demande du juge aux affaires familiales. Et cela a jouĂ© dans leur façon dâaborder leur cas personnel : âJe suis flic, et je peux vous dire que jâen vois, des enfants qui morflent. Et dans tous les milieux. Jâai voulu Ă©viter ça Ă ma fille Ă tout prix.â Comment ? En se comportant en adulte.
âSe comporter en adulte, dĂ©taille VĂ©ronique Herlant, câest par exemple prendre assez de hauteur pour ne pas interprĂ©ter comme un rejet de sa personne les manifestations de colĂšre, de tristesse, de dĂ©pression ou de rejet que peut Ă©prouver lâenfant.â Ainsi, face Ă un enfant qui dĂ©clare : âJe ne veux plus te voirâ, câest Ă lâadulte de ne pas rĂ©pondre sur le mĂȘme niveau, en Ă©vitant de rĂ©pliquer, en colĂšre : âMoi non plus, je ne veux plus te voirâ ou âTu vas voir, je vais tây obliger.â Autre cas classique : lâenfant, qui a bien identifiĂ© les idĂ©aux Ă©ducatifs de lâun et de lâautre, souligne volontiers : âChez Papa, on mange tout le temps des pizzasâ ou âChez Maman, je peux regarder la tĂ©lĂ© comme je veuxâ. Mieux vaut ne pas sâengouffrer dans des reproches indignĂ©s mais couper court en disant plutĂŽt, comme RaphaĂ«l : âAh, ben câest cool, la semaine prochaine, tu pourras le faire alors !â Et expliquer sans craindre de se rĂ©pĂ©ter quâil y a des rĂšgles diffĂ©rentes chez Papa et Maman.
Finalement, tout cela participe dâune mĂȘme attitude, que rĂ©sume bien ChloĂ©, qui a su conserver une bonne relation avec son ex : âJe me dis : on sâest trouvĂ© de lâintĂ©rĂȘt au point dâavoir un enfant ensemble. Il faut garder ça en mĂ©moire.â Et ainsi, respecter et faire confiance Ă son ex-partenaire. âMĂȘme si câest difficile, mĂȘme si tout se mĂ©lange dans notre tĂȘte, conseille Pauline, il faut se forcer Ă distinguer lâex-amoureux et le parent de notre enfant.â Cette Ă©preuve peut aussi ĂȘtre lâoccasion de dĂ©marrer ou dâapprofondir un travail sur soi qui nous aidera, nous et nos enfants.

Témoignages de parents
Clémence
âJe me suis sĂ©parĂ©e du papa de mon fils lorsque ce dernier avait 3 ans. Aujourdâhui, il en a 7. Nous le lui avons annoncĂ© ensemble, nous avions beaucoup rĂ©flĂ©chi et notre souhait principal, câĂ©tait de le dĂ©culpabiliser. Je ne sais pas ce quâil a compris de cette conversation. Il nâa pas pleurĂ©, ni montrĂ© dâĂ©motion particuliĂšre. Nous sommes tous deux enfants de parents divorcĂ©s, et ça nous a donnĂ© une sensibilitĂ© particuliĂšre Ă ce quâil pouvait ressentir et aux questions quâil pouvait se poser. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, nous avons une bonne relation parentale. Dâailleurs, il nous arrive parfois de dĂ©jeuner tous les trois.â
Coralie
âMa fille avait 2 ans lorsque nous nous sommes sĂ©parĂ©s. Elle avait eu le temps de ressentir la mĂ©sentente entre nous. Ă lâĂ©poque, elle nâa pas eu de rĂ©action particuliĂšre. Aujourdâhui, elle a 5 ans, et elle me renvoie que je suis la mĂ©chante, que son papa est triste Ă cause de moi, que jâai cassĂ© sa famille. Câest dur. Son pĂšre a beaucoup de mal Ă accepter cette sĂ©paration. La communication entre nous est trĂšs conflictuelle. Nous nâavons pas du tout les mĂȘmes exigences sur le cadre, les horaires : lâĂ©cart est grand et câest difficile pour elle. Le jour de la transition, en particulierâŠâ
Pauline
âMon fils avait 15 mois quand nous nous sommes sĂ©parĂ©s. Ă chaque Ă©tape, on lui a expliquĂ© ce qui se passait, mais ce nâĂ©tait pas un Ă©change : il Ă©tait encore trop jeune pour cela. Aujourdâhui, il a 3 ans, et il pose beaucoup de questions : pourquoi Papa et Maman nâhabitent pas ensemble ? Pourquoi Papa nâest pas lâamoureux de Maman ? Nos rĂ©ponses ne doivent pas lui suffire, car il continue de poser ces questions. Par exemple, quand je lui dis quâon se disputait trop, il me dit : âFaut pas se disputer.â Entre son papa et moi, ça se passe trĂšs bien : on a rĂ©ussi Ă faire la diffĂ©rence entre lâex et le parent, et ça, câest le principal.â
Raphaël
âNous nous sommes sĂ©parĂ©s il y a un an, quand notre fille avait 4 ans. Ăa aurait pu ĂȘtre conflictuel, mais la prĂ©sence de lâenfant nous a obligĂ©s Ă prendre sur nous et Ă maintenir un discours dâune seule et mĂȘme voix. En terme de maturitĂ©, câest trĂšs fort. JâĂ©prouvais une grande colĂšre, mais jâai tout de suite identifiĂ© son pouvoir de nuisance, et je lâai mise de cĂŽtĂ© pour quâelle nâimpacte pas ma relation avec mon enfant. Ăa nâest pas simple : il faut gĂ©rer le chagrin dâamour, le chagrin dâune certaine reprĂ©sentation de la vie de famille, et renouveler sa relation avec son enfant.â
Des livres pour aller plus loin
Avec les enfants
âąSur mon fil, de SĂ©verine Vidal et Louis Thomas, Milan, 13,90 âŹ.
âąLa grande aventure du Petit Tout, dâAgnĂšs de Lestrade et Tiziana Romanin, Sarbacane, 15,50 âŹ.
âąMon papa et ma maman se sĂ©parent, de Sophie Furlaud et Laurent Simon, Casterman, 10,90 âŹ.
Pour les adultes
âąUne semaine chez Papa, une semaine chez Maman, Comment aider votre enfant, de Claire Wiewauters et Monique Van Eyken, De Boeck, 19,95 âŹ.
âQuand les parents se sĂ©parentâ, supplĂ©ment pour les parents du magazine Pomme dâApi, n° 639, mai 2019. Texte : Anne Bideault. Illustrations : Pascal LemaĂźtre. Chiffres : (source INSEE, 2015)
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