Des Ă©vĂ©nements Ă©branlent parfois durement la vie dâune famille : accident, sĂ©paration, chĂŽmage, maladie⊠Que dire aux jeunes enfants et quelles attitudes Ă©viter ? Explications et conseils de Marie-NoĂ«lle ClĂ©ment, pĂ©dopsychiatre et psychothĂ©rapeute.
âIl est trop petit, il ne faut pas lâinquiĂ©terâŠâ
Nous ne sommes pas épargnés par les épreuves de la vie. Par ricochet, les enfants non plus. Quand celles-ci surviennent, comment arriver à leur en parler ? Et avec quels mots ?
Marie-NoĂ«lle ClĂ©ment est pĂ©dopsychiatre, psychothĂ©rapeute, et elle dirige un hĂŽpital de jour pour enfants, Ă Paris (10e). Dans lâexercice de son mĂ©tier, elle a pu constater que, parfois, quand les enfants vont mal , câest quâaucun mot nâa Ă©tĂ© prononcĂ© sur des Ă©vĂ©nements qui se sont produits. âSi lâon ne dit rien, lâenfant est comme le spectateur dâun film en langue Ă©trangĂšre sans sous-titresâ : il voit sans comprendre, et se sent laissĂ© Ă la marge de la vie familiale . Mais nombreux sont les freins qui nous empĂȘchent de parler : il est trop petit, il ne faut pas lâinquiĂ©ter, etc.
Selon les difficultĂ©s rencontrĂ©es, la pĂ©dopsychiatre nous propose des pistes pour trouver des paroles ajustĂ©es et simples, qui soulageront . Et elle nous met en garde contre certaines attitudes que nous serions tentĂ©s dâadopter.
Ăviter de⊠repousser Ă plus tard
RĂ©pondre : âJe ne peux pas te dire maintenantâ ou âTu es trop petitâ, câest prendre le risque que lâenfant se dise : âQuâest-ce quâil y a de si grave ?â et fasse jouer son imagination Ă plein rĂ©gime, en Ă©chafaudant des scĂ©narios terrifiants. Et soyons honnĂȘtes : on lui promet quâon lui en parlera âplus tardâ, quand il sera âplus grandâ, mais la plupart du temps, on repousse indĂ©finiment⊠Ce ne sera jamais le moment.
Que peut-on dire ?
âą Dans le cas dâune maladie grave, faire la diffĂ©rence entre une âgrosse maladieâ (qui nĂ©cessite des soins Ă lâhĂŽpital, engendre une trĂšs grande fatigueâŠ) et la âpetite maladieâ du quotidien, pour Ă©viter quâil mette tout sur le mĂȘme plan et sâinquiĂšte. Autant la nommer (âcancerââŠ) et montrer la partie du corps concernĂ©e.
âą On nâest jamais obligĂ©s dâentrer dans tous les dĂ©tails, mais il faut dire lâessentiel, avec les mots de la rĂ©alitĂ© : âTonton a eu un accident de voiture, il est mort. Je suis trĂšs triste.â suffit⊠Les dĂ©tails de lâaccident nâont pas Ă ĂȘtre prĂ©cisĂ©s.
âą Si lâenfant pose des questions auxquelles on ne se sent pas de rĂ©pondre, on peut dire : âCâest trĂšs difficile pour moi dâen parlerâ, et sâautoriser Ă passer le relais Ă des personnes plus Ă©loignĂ©es, moins prises par lâĂ©motion. Sans pour autant taire notre tristesseâŠ
Ăviter de⊠masquer la rĂ©alitĂ©
âIl est partiâ, âIl nous a quittĂ©sâ, âIl est parti trĂšs loin en voyageâ, âElle est au cielâ⊠On croit bien faire en usant de mĂ©taphores qui nous semblent adoucir la rudesse de la rĂ©alitĂ©. Mais ces mots ambigus placent lâenfant sur des sables mouvants dans lesquels il sâenfonce : âSâil est juste parti, alors il va revenir !â
Que peut-on dire ?
âąâââRassurer lâenfant, ce nâest pas arranger la rĂ©alitĂ©â, rĂ©sume Marie-NoĂ«lle ClĂ©ment. DâoĂč lâimportance de prononcer les mots exacts, et de les expliquer briĂšvement : âIl est mortâ, âElle a un cancerâ, âNous allons nous sĂ©parerâ, âJe suis au chĂŽmageââŠ
âą Accueillir les questions de son enfant quand elles viennent, tout de suite, ou plus tard.
Et quand lâenfant ne rĂ©agit pas ?
Câest un grand classique : vous venez dâannoncer quelque chose de lourd Ă votre enfant, et il retourne Ă ses Playmobil, sans manifester aucune rĂ©action. Peu importe ! Gardons en tĂȘte que pour lui, les Ă©vĂ©nements nâont pas la mĂȘme portĂ©e et quâil ne les saisit pas de la mĂȘme façon que nous.
Ainsi, le mot âcancerâ rĂ©sonne trĂšs fort pour un adulte, qui y dĂ©cĂšle tout de suite les complications, la possibilitĂ© de la mort. Mais quâest-ce quâune âmaladie graveâ pour un enfant ? Quâest-ce que âla mortâ ? Il nâintĂ©grera le concept de lâirrĂ©versibilitĂ© que bien plus tard, au-delĂ de 7 ans. Ă bien y regarder, faire âcomme si de rien nâĂ©taitâ est une stratĂ©gie Ă laquelle nous aussi avons recours : comme tous les jours, je fais la vaisselle alors que je viens dâapprendre un dĂ©cĂšs. Une façon de se protĂ©ger de ses propres Ă©motions et de celles de ses parents.
Et quand il pose toujours les mĂȘmes questions ?
âIl est mort, Papi, hein ?â On peine Ă se souvenir combien le monde est dâune complexitĂ© extraordinaire pour un enfant. Il met des annĂ©es Ă construire et Ă s’approprier lâensemble des repĂšres nĂ©cessaires. Alors oui, il faut parfois rĂ©pĂ©ter les choses, rĂ©pondre plusieurs fois Ă la mĂȘme question, mĂȘme si elle est douloureuse pour nous. Comme si notre enfant regardait plusieurs fois le mĂȘme dessin animĂ© pour en comprendre tous les ressorts. Et en grandissant, il va poser des questions de plus en plus complexes⊠nous obligeant Ă revenir encore et encore sur un mĂȘme Ă©vĂ©nement.
Ăviter de⊠minimiser
âNe tâinquiĂšte pasâ, âTout va bienâ, âJe vais guĂ©rir viteâ⊠Lorsquâon est soi-mĂȘme inquiet, lorsquâon ne croit pas Ă ses propres paroles, lâenfant le perçoit, et câest doublement angoissant pour lui. Pour ĂȘtre rassurĂ©, lâenfant a avant tout besoin de pouvoir se fier Ă son parent et de savoir concrĂštement quels vont ĂȘtre les changements dans son quotidien.
Que peut-on dire ?
âą Commencer par dire Ă son enfant quâil nâest en rien responsable de ce qui arrive, et lui montrer quâon a de la ressource pour continuer dâavancer : âJâai perdu mon travail, et je vais faire ce quâil faut pour en trouver un autre.â
âą Donner les dĂ©tails pratiques : âMamie va venir te garderâ, âIl faudra quâon se lĂšve plus tĂŽt pour le busâ, âTu resteras Ă la garderie le soirâ, âTu verras Papa le week-endââŠ
âą Sâattacher Ă dĂ©crire ce que ça va changer et insister sur ce que ça ne va pas changer, en particulier les petites habitudes : âToi, tu continueras dâaller Ă lâĂ©cole, je mâarrangerai pour quâil y ait toujours quelquâun pour venir te chercher.â En imaginant aussi dâautres rituels quand cela est possible : âMĂȘme si je suis Ă lâhĂŽpital, jâai donnĂ© une mission Ă Papa : tous les soirs une histoire pour que tu puisses me la raconter ensuite !â
Ăviter de⊠cacher ses Ă©motions
Les Ă©motions font partie de la condition humaine. Les dissimuler, câest illusoire ! Lâenfant perçoit le langage du corps, les mimiques, les attitudes. A-t-on envie quâil imagine quâĂȘtre grand, câest ne rien ressentir du tout ? En outre, plus on les lui cache, plus il peut perdre confiance dans ses perceptions (âJe vois que Maman est triste, mais elle dit que tout va bien. Je nây comprends rien !â) et en la parole de lâadulte. Ce qui importe, câest de âparler vraiâ, comme le disait Françoise Dolto. Nommer lâĂ©motion, câest autoriser lâenfant Ă comprendre, et aussi Ă lâĂ©prouver.
Que peut-on dire ?
âą Si je suis triste, je ne dis pas âNe tâinquiĂšte pas, tout va bienâ, mais âJe suis trĂšs triste de la mort de Papi. Ăa va durer un peu, câest normal, mais je vais rĂ©ussir Ă dĂ©passer ça.â Partager nos Ă©motions aidera notre enfant Ă exprimer et Ă partager les siennes.
Ăviter de⊠vouloir sâen sortir tout seul
Il ne faut jamais hĂ©siter Ă se faire aider et Ă faire aider les enfants. Parfois, Ă©branlĂ©s par leurs Ă©motions ou leurs difficultĂ©s, les parents ne sont pas les mieux placĂ©s pour accompagner leurs enfants. Se tourner vers un tiers, professionnel, peut sâavĂ©rer efficace. Autant consulter un psychologue âpour rienâ plutĂŽt que de passer Ă cĂŽtĂ© de quelque chose !
Que peut-on dire ?
âą Selon son Ăąge, lâenfant nâest pas capable dâĂ©valuer ses propres besoins. Ă nous de faire le choix pour lui et de lui proposer de sâexprimer : âQuelquefois, on peut avoir besoin de parler. Peut-ĂȘtre que ce serait bien que tu parles Ă quelquâun. Il y a des gens dont le travail est dâaider les autres et dâĂ©couter leurs soucis.â
Et quand on nâarrive pas Ă faire face ?
Hospitalisation, dĂ©pression⊠Rien nâest plus angoissant que de voir ses parents terrassĂ©s, physiquement ou psychiquement, rĂ©duits Ă lâimpuissance quand ils ne trouvent pas en eux les ressources nĂ©cessaires pour rebondir. Dans ce cas, câest bien de faire appel aux proches pour organiser des relais et ainsi tout faire pour que la vie de lâenfant continue dans les meilleures conditions possible. Et nâhĂ©sitons pas Ă Ă©largir ce cercle de soutien : voisins, amis, parents des amis de nos enfants, etc. Osons demander de lâaide autour de nousâŠ
Pour aller plus loin
⹠Comment te dire ? Savoir parler aux tout-petits, de Marie-Noëlle Clément, éd. Pocket. Des pistes pour aborder des sujets délicats (mais pas forcément dramatiques) avec les tout-petits.
âą âSĂ©paration, comment protĂ©ger son enfant ?â Un dossier est Ă retrouver sur le site de Pomme dâApi .
âComment parler aux enfants des Ă©preuves de la vie ?â, supplĂ©ment pour les parents du magazine Pomme d’Api n°648, fĂ©vrier 2020. Texte : Anne Bideault. Illustrations : Kei Lam.