Élève-t-on de la même manière une fille et un garçon ? Cette question touche toute la société, mais aussi nos comportements inconscients et nos automatismes… quand les stéréotypes sont souvent présents dès le berceau. Le magazine Pomme d’Api propose quelques pistes de réflexion dans son supplément pour les parents du mois de mars 2018.
Filles-garçons, une éducation ni rose ni bleue ?
C’est le bol du petit déjeuner qui a fait office de déclic chez Lise, mère de deux garçons de 5 ans et 2 ans et demi. “Quand mon fils avait près de 4 ans, je me suis rendu compte que je ne lui avais jamais demandé de débarrasser son bol. Je suis persuadée que si j’avais eu une fille, je l’aurais exigé beaucoup plus tôt.” Lise est enseignante, et mène, au sein de son collège, un projet de sensibilisation des élèves au sexisme ordinaire. C’est dire si elle est vigilante !
Mais même si l’on a une pensée critique sur les stéréotypes, “nous nous comportons différemment avec les hommes et les femmes ; et ce, dès leur naissance”, explique Patricia Mercader, psychologue spécialisée dans les questions de genre. De nombreuses expériences l’ont prouvé. Parmi elles, la suivante : un même nourrisson est présenté à des adultes, une fois vêtu comme un garçon, une fois comme une fille. Selon le genre attribué au bébé, les descriptions qu’ils en font divergent : plus grand, plus lourd, plus actif, plus affirmé, dans le premier cas, plus petit, plus léger, plus gracieux, plus faible, dans le second.
De façon inconsciente et automatique, par toutes les interactions quotidiennes, les petits garçons sont encouragés à la virilité, et les petites filles à la féminité, dans leur façon de penser, de ressentir, de bouger, d’évoluer dans l’espace. “Dans mon entourage, s’indigne Lise, je constate qu’on est plus exigeant vis-à-vis d’une petite fille pour la politesse (“Dis bonjour”) et pour la propreté (“Tu vas te salir”), alors qu’on accepte que mes garçons traînent par terre ou refusent de dire bonjour. Filles ou garçons, ce sont avant tout des enfants !”
Angélique se souvient des réflexions qu’elle a essuyées quand elle a offert à son fils de 3 ans la cuisinière miniature avec laquelle il joue tant. Et puis aussi de tous ces clichés : “Les petits garçons, ça ne pleure pas, c’est courageux !” Autant de réflexes qui ménagent à chaque sexe une place différente. Des études ont montré, par exemple, que nous freinons la prise d’initiatives, l’action, le goût pour les sciences, chez les filles, et l’attention à autrui, l’expression des émotions, chez les garçons.
Une norme à découvrir
Dans les familles où le distingo fille/garçon ne se manifeste pas dans le choix des objets ou des vêtements, l’entrée à la maternelle marque souvent le moment où l’enfant se charge lui-même d’affirmer son appartenance à un sexe ou l’autre.
“Avec la petite section est arrivée la passion pour le rose, et les phrases du type «Ça, c’est un truc de garçon/de fille»”, s’étonne Mathilde, mère de deux enfants. “Normal, décrypte Patricia Mercader, à l’école, les enfants sont plongés dans la société telle qu’elle est et telle que l’interprètent des tout-petits, c’est-à-dire de façon rigide.” À cet âge-là, ils utilisent pour penser les catégories que leur propose l’environnement dans lequel ils grandissent. Plus ces catégories sont impératives (“Une fille, c’est comme ceci, un garçon se comporte comme cela”…), moins ils peuvent envisager des nuances ou des exceptions : un garçon aux cheveux longs ? Une fille déguisée en Dark Vador ? Pas possible ! La plupart se refuseront à eux-mêmes la liberté de s’emparer des attributs de l’autre genre. Voilà pourquoi le T-shirt violet, jusqu’alors apprécié, ne l’est plus : “Ça fait fille.” Sans compter que les attributs féminins sont moins valorisés que les attributs masculins. On accepte plus aisément qu’une fille se passionne pour le foot qu’un garçon mette des barrettes.
Transgresser la norme suppose de l’aplomb de la part de l’enfant, car cela suscite souvent remarques, moqueries, voire humiliations. Refuser radicalement tout stéréotype n’est d’ailleurs pas une bonne stratégie : rabrouer toute aspiration à la féminité chez une fille ou tout comportement viril chez un garçon serait tout aussi enfermant.
Elle est musclée, il est mignon
“Je n’ai pas fait de commentaires quand mon fils a choisi une trousse avec des fleurs violettes pour sa rentrée en CP, se souvient Hélène. Et je le respecte aussi quand il est fier de me montrer ses muscles.”
“Je me suis rendu compte que je répétais à ma fille ‘Qu’est-ce que tu es mignonne !’ quel que soit ce qu’elle faisait, relate Sylvie. Je m’efforce maintenant d’être plus précise : ‘Quelle force !’ ou ‘Comme tu es agile !’”
Angélique refuse de laisser penser à ses fils que les garçons ne connaissent ni la peur, ni la tristesse. “Ce qui importe, souligne Patricia Mercader, c’est de leur donner une marge de manœuvre. Si les pleurs d’un petit garçon sont toujours sanctionnés du cliché : “Un garçon, c’est courageux, ça ne pleure pas !”, si une petite fille casse-cou est traitée de “garçon manqué”, ça ne les aide pas à bien se développer, car cela les force à s’adapter à une place dans le monde beaucoup trop étroite.”
Pour se construire comme garçons ou filles, les enfants ont besoin d’un cadre solide (il y a des garçons et des filles, ils ont des corps différents), mais suffisamment souple pour pouvoir exprimer leur individualité. Et pouvoir vivre leurs aspirations sans jugement : je suis une fille, je n’aime pas le rose, j’aime courir dehors et escalader les arbres. Je suis un garçon, j’aime jouer tranquillement et je déteste les ballons.
Élargir l’horizon des possibles
Telle petite fille voulait être “chevalière” ou “pompière”, tel petit garçon “maman” ou “maîtresse”. N’est-il pas dommage de couper court à ces rêves ? En 2014, un rapport du gouvernement soulignait que seuls 17 % des métiers sont mixtes. Pourquoi envisage-t-on si difficilement qu’un garçon puisse devenir enseignant en maternelle (ils ne sont que 7 %) ou qu’une femme devienne pompier professionnel ou mécanicien auto ?
Dur, dur, d’échapper à ces stéréotypes de partage des rôles dans la société. Et cela jusqu’au sein de la famille, comme le constate Sylvie : “Je suis assez féministe et mon compagnon prend largement sa part à la maison. J’avoue que je n’étais pas fière quand ma fille m’a fait remarquer que je me tournais toujours vers son père quand il fallait tondre le gazon ou sortir la visseuse !” À l’inverse, reconnaît Bertrand : “J’ai longtemps dit que “j’aidais” ma femme à la maison, comme s’il était évident que les tâches domestiques lui incombaient. Or, nous travaillons tous les deux…”
Alors, même si la majorité de ce que nous transmettons nous échappe, cela vaut le coup de réfléchir un instant aux modèles que nous proposons et aux discours que nous tenons : “Ce qui me semble fondamental, conclut Hélène, c’est que mes fils respectent les filles et ne se sentent pas supérieurs.” Et que les filles ne se sentent pas “inférieures” ou ayant moins de droits et de possibilités. Et qu’une fois adultes, les uns et les unes se retrouvent tous égaux devant – entre autres choses – le panier de linge sale et la machine à laver !
Garçons et filles : des cerveaux différents ?
Le cerveau humain ne présente pas de différences cognitives entre hommes et femmes. Intelligence, mémoire, raisonnement, attention…, garçons et filles ont les mêmes aptitudes. Si certains stéréotypes ont la vie dure, ce n’est pas parce que les cerveaux des garçons et des filles sont différents, mais parce qu’ils ont été différemment stimulés. À la naissance, 90 % des connexions neuronales ne sont pas faites. Le cerveau se façonne selon les expériences et les interactions. Les normes sociales, l’environnement, les expériences… vont forger les goûts et les aptitudes des individus. Aussi, si l’on entend parfois que les femmes ne sont pas faites pour les sciences, c’est justement parce qu’elles n’y sont pas toujours encouragées ou formées. Leur cerveau se focalise sur d’autres aptitudes et cela modifie alors sa structure.
Des albums ni roses ni bleus
Pour les enfants
- “La princesse, le loup, le chevalier et le dragon”
C’est l’histoire d’une princesse qui aime la bagarre. Et d’un chevalier qui aime aussi la bagarre. Ils se croisent, et rencontrent un loup et un dragon… Un petit album au ton très enlevé et très drôle, jusqu’au bout. Parce qu’on n’est jamais princesse ou chevalier jusqu’au bout des ongles ! À partir de 4 ans. Jean Leroy, Béatrice Rodriguez, Actes Sud junior, 12,80 €. - “Marre du rose”
Une petite fille en a assez d’être enfermée dans les goûts qui ne sont pas les siens. À partir de 5 ans. Nathalie Hense, Ilya Green, Albin Michel Jeunesse, édition poche, 5,50 €. - “Nils, Barbie et le problème du pistolet”
Nils rêve d’avoir une poupée Barbie, mais son père pense lui offrir un pistolet en plastique. Une inversion des clichés pas “moralo”, servie par des dialogues justes et drôles. À partir de 3 ans. Kari Tinnen, Mari Kanstad Johnsen, éditions Albin Michel Jeunesse, 14,50 €.
Pour les adultes
- “Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe”
“Parce que tu es une fille” ne sera jamais une bonne raison pour quoi que ce soit. Jamais. En quinze “suggestions”, dans un style simple et plein d’humour, la romancière nigériane répond à une jeune mère qui lui demande “comment donner une éducation féministe” à sa fille. À lire par tous, hommes ou femmes, ne serait-ce que pour s’interroger sur l’éducation qu’on a soi-même reçue. Chimamanda Ngozi Adichie, Gallimard, 8,50 €.