L’intérêt sans bornes de votre petit pour un sujet vous intrigue (et parfois vous barbe, avouons-le) ? Et si c’était une façon de mettre de l’ordre dans sa tête et le monde qui l’entoure ? La rédaction de Pomme d’Api a interrogé Nadège Larcher, psychologue et psychothérapeute, spécialiste du développement de l’enfant…
“Sa passion prend de la place dans sa chambre comme dans sa tête”
Quand on entre dans la chambre d’Inès, 6 ans, on comprend vite que l’espace, c’est sa passion ! Sa veilleuse est en forme de lune. Elle peut réciter les planètes dans leur ordre de grandeur. De sa bibliothèque, elle extrait un nombre impressionnant de livres sur l’astronomie. Et si on lui demande d’où vient cet engouement, elle s’exclame : “Mais parce que c’est trop beau !” Du côté des parents, on ne sait pas trop d’où cette idée fixe a jailli. Sa mère mise sur une visite à la Cité des Sciences. Son père sur un livre offert par son parrain. Une chose est sûre : sa passion prend de la place dans sa chambre comme dans sa tête. “Au petit-déjeuner, elle nous parle de Vénus, au dîner, elle embraie sur les comètes… Bon, c’est sympa, mais si les sujets pouvaient varier un peu, on ne serait pas contre”, sourit sa mère.
Inès n’est évidemment pas une exception. Beaucoup d’enfants développent un attrait dévorant pour un sujet. Pour la psychologue et psychothérapeute Nadège Larcher, spécialiste du développement de l’enfant et de l’adolescent, la marotte est tout simplement “une passion un peu exclusive pour un sujet. Cette passion l’envahit et, contrairement à un enfant plus grand qui a acquis la flexibilité mentale, c’est-à-dire la capacité de passer d’un sujet à un autre, il n’a pas la capacité de la freiner.”
3-6 ans : le cerveau reçoit beaucoup d’informations et doit faire un tri
On le constate facilement autour de nous : ces petites monomanies se développent beaucoup entre 3 et 6 ans. “Dans la bande de ma fille, ils ont effectivement « chacun leur champ d’expertise », note la maman de Manon, 5 ans. Il y a le pro des dinosaures, la passionnée des insectes, l’incollable sur les voitures…” De fait, à cette période de la vie, l’enfant découvre la catégorisation mentale.
“C’est ce que Maria Montessori appelait « la période sensible de l’ordre », explique Nadège Larcher. Le cerveau reçoit beaucoup d’informations et doit faire un tri. Il va donc falloir mettre des choses dans des catégories. C’est ce qu’on demande à l’enfant – notamment à l’école où on va lui proposer des activités qui consistent justement à trier – mais aussi ce que le développement naturel ordonne.” Trois ans, c’est aussi l’âge de la découverte du “je”. Et donc la découverte de la connaissance où l’enfant s’empare des expressions “je pense que…”, “je dis que…”. “Pour certains, c’est totalement fascinant”, souligne Nadège Larcher.
Un monde bien rangé
“Si on parlait de la fabrication du fromage aux enfants, cela pourrait devenir un objet de fascination”, souligne malicieusement Nadège Larcher. Car les passions de nos enfants découlent aussi de ce qu’on leur présente. Ces passions peuvent donc être en lien avec les affinités personnelles des parents mais aussi avec l’offre commerciale : il suffit de voir le nombre de livres jeunesse dévolus aux dinosaures dans les librairies. Mais y a-t-il des points communs entre les thématiques ? “Les objets-passions sont souvent très sensoriels et on peut les classer”, analyse Nadège Larcher. D’où le succès des voitures et engins de chantier qui font du bruit et peuvent s’aligner, se ranger.
Cette idée d’ordre prévaut également dans le succès de certains personnages de fiction. Pour la psychologue, le succès de La Pat’ Patrouille repose sur une équation simple : “Dans le monde de La Pat’ Patrouille, chaque personnage est très clairement identifiable, chaque chose est bien à sa place.” Un monde bien rangé, pour, en somme, pouvoir mieux l’apprivoiser…
Des passions multifonctions
Les passions enfantines, c’est comme les robots de cuisine : elles sont multifonctions ! Les marottes permettent en effet de développer plein de compétences. “Cela fait travailler l’intelligence linguistique, estime Nadège Larcher, puisqu’il s’agit de nommer les choses.” Autre intelligence sollicitée : l’intelligence dite “naturaliste” avec cette idée de classer, ordonner. L’intelligence kinesthésique (liée au corps) aussi, via la manipulation. “Ces passions permettent aussi de se forger des souvenirs”, rappelle la psychothérapeute.
Aujourd’hui âgé de 12 ans, Léo conserve un souvenir ému de sa virée en famille à Saint-Malo alors qu’il avait 5 ans : “J’étais à fond sur les corsaires et les pirates. Monter sur les remparts, c’était trop bien. On avait même été invités à bord d’un vieux gréement avec des marins !” Il y en a que ces passions d’enfants ne quittent pas. À 40 ans passés, Julien n’est toujours pas guéri du virus des Lego ! “Ce que je monte est un peu plus compliqué mais le plaisir est toujours le même.”
La folie dinosaures
C’est LA grande passion des 3-6 ans. Qui interroge quand même un peu… Pourquoi cette obsession pour des créatures globalement assez effrayantes, aux noms complexes et qui ont disparu il y a belle lurette ? “Justement, explique Nadège Larcher, les dinosaures font un peu peur mais ils n’existent plus.” L’enfant s’offre donc un petit frisson, tout en se mettant à l’abri de grosses frayeurs. Ajoutons à cela que les dinosaures se prêtent parfaitement au classement (ceux qui volent, les herbivores, les carnivores…) et que les enfants ont bien conscience que ces connaissances sont valorisantes. N’en jetez plus : c’est la passion qui coche toutes les cases !
Mon enfant n’a pas de passion, c’est normal ?
Claire a beau chercher, elle ne voit pas. “Amélie s’intéresse à plein de choses mais il n’y en a pas une qui prend le pas sur les autres. Et je ne dirais pas qu’elle est incollable sur un sujet en particulier.” On se détend : “Les passions, c’est comme l’ami imaginaire, rappelle Nadège Larcher. Tous les enfants n’en ont pas ! Certains n’éprouvent pas le besoin d’investir ce champ.”
Méfiance aussi envers certains adultes, adeptes de la compétition interparentale (argh !!!), qui ne manquent pas de “survendre” les marottes de leurs enfants. Jules, le copain de votre descendance, est capable de reconnaître le drapeau du Paraguay comme celui des Îles Cook (oui, il existe) ? Grand bien lui fasse. L’essentiel est d’avoir un enfant bien dans ses baskets. Dont les centres d’intérêt grandiront et s’affûteront au fil du temps.
C’est grave docteur ?
A priori, pas de quoi se faire du mouron au sujet des petites obsessions de nos enfants. À moins que celles-ci ne prennent toute la place et n’en laissent pour rien d’autre. Voire qu’elles soient investies de façon anxieuse, si, par exemple, “l’éloignement ou la disparition de l’objet de la passion créent des réactions disproportionnées, note Nadège Larcher. On peut se demander alors à quoi sert cette marotte. À s’autorassurer ? Il peut alors s’agir d’un épisode passager ou d’un trouble anxieux qu’on peut dénouer en consultant un spécialiste”.
Pour aller plus loin
Une sélection à lire, à écouter et à partager.
• Le podcast Bestioles, France Inter. La passion des animaux est l’une des plus répandues chez les enfants. Pour France Inter, Stéphanie Fromentin a donc imaginé Bestioles. Dans cette émission, un écrivain vient raconter l’histoire qu’il a inventée autour d’un animal : la sardine pour Marie Desplechin, le serpent pour Susie Morgenstern… Dès 5 ans !
• Le podcast “Dinosaures : les rois maudits”, La Méthode scientifique, France Culture. Si, comme Clémentine, vous êtes largué avec les dinosaures, on vous recommande cet épisode de La Méthode scientifique sur France Culture. Grâce à ce podcast, on apprend qu’il n’est pas si rare que ça de tomber sur des œufs de dino ! Ou comment profiter des passions de nos enfants pour nous cultiver !
• La Grande Encyclopédie visuelle, ouvrage collectif, Gallimard. D’accord, elle est censée s’adresser aux 8-12 ans. Mais comme son nom l’indique, cette encyclopédie repose sur les images : plus de 10 000 en tout ! Les espèces d’arbres, les modèles de trains… tout est parfaitement répertorié. Un livre que l’enfant peut feuilleter au gré de ses envies et qui va l’accompagner pendant un bon moment…